A.-C. Abadie (Sycomore AM) : “La transition climatique implique des mutations sectorielles”

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié en février dernier le deuxième volet de son sixième rapport d’évaluation sur le climat. Dans leurs conclusions, les experts rappellent qu’un réchauffement supérieur à 1,5 °C du globe terrestre aurait des conséquences irréversibles sur notre environnement. Pour remporter cette bataille en faveur du climat, il est donc vital de faire émerger des entreprises dont les modèles économiques contribuent à la transition écologique et énergétique. Anne-Claire Abadie, gérante de fonds et Spécialiste Environnement chez Sycomore Asset Management, une société de gestion spécialisée dans l’investissement responsable, nous explique comment votre épargne peut y contribuer.

Scala Patrimoine. Comment un fonds peut-il investir en faveur de l’environnement & du climat ?

Anne-Claire Abadie. Nous avons la conviction que la question climatique ne peut être regardée seule. On ne peut pas fermer les yeux sur les interactions entre les différents enjeux environnementaux. Le dérèglement climatique altère la biodiversité, alimentant elle-même les changements climatiques. Investir en faveur de l’environnement demande donc à répondre aux problématiques énergétiques et climatiques, mais aussi à la biodiversité, aux ressources ou encore à la gestion des déchets.

 

« Climat : le concept de « transition juste » est louable, mais très difficile à mettre en œuvre »

 

Scala Patrimoine. Quelles sont les thématiques d’investissement qui ont votre préférence ?

Le traitement des déchets, l’économie circulaire, la construction, la production énergétique et le secteur des transports figurent parmi les activités compatibles avec une stratégie d’investissement en faveur de l’environnement. Cet univers d’investissement est suffisamment large pour proposer une diversification financière mieux adaptée aux changements de cycle économique et à l’évolution des taux d’intérêt. Cette stratégie permet aussi de s’attaquer au cœur du problème posé par le changement climatique : faire progresser l’ensemble des grands acteurs économiques et des secteurs d’activité.

Scala Patrimoine. La lutte contre le changement du climat peut-elle se faire au détriment de la sphère sociale ?

C’est l’un des principaux enjeux. Le concept de « transition juste » est louable, mais très difficile à mettre en œuvre. Par construction, les décisions prises dans le cadre de la transition climatique font face à des résistances de la part de décideurs ou de gouvernements. Elles impliquent, en effet, de profondes mutations sectorielles. La disparition de certaines activités semble malheureusement inéluctable. Les contestations sociales sont, à ce titre, parfaitement légitimes. Un équilibre doit donc être trouvé. C’est pour cette raison qu’il me parait indispensable d’intégrer les critères « Environnementaux », « Sociaux » et de « Gouvernance » (ESG) dans la politique d’investissement d’un fonds positionné sur le thème de l’environnement.

 

« Il est indispensable d’intégrer les critères ESG dans la politique d’investissement d’un fonds Environnement »

 

Scala Patrimoine. Les fonds « climat » ont-ils pour vocation d’investir uniquement sur des entreprises ayant une faible empreinte carbone ? 

Je ne le pense pas. Les fonds proposant une empreinte carbone très basse sont ceux ayant de faibles dépenses d’investissement. Concrètement, cela concerne surtout des sociétés de services (établissements financiers, cabinets de conseil …).  Or ce ne sont pas ces entreprises qui apportent des solutions concrètes à la transition énergétique. Les plus actives sont, en réalité, celles qui ont les plus fortes interactions avec l’environnement. Nous les retrouvons principalement dans les secteurs de l’énergie, de la construction, de la mobilité ou des infrastructures.

Scala Patrimoine. Quels sont les critères à analyser pour évaluer un fonds « climat » ?

Les labels sont déjà une bonne indication. Le Label Greenfin est, par exemple, l’un des plus exigeants puisqu’il impose une obligation de résultat. Malgré tout, la labellisation n’est pas un élément suffisant. Je conseille aux investisseurs de bien regarder la composition du fonds et la liste des entreprises en portefeuille. La réputation de la société de gestion et la sincérité de son action dans le temps fourniront également de précieuses indications. Enfin, les épargnants peuvent aussi regarder la stratégie d’investissement mise en œuvre par le gérant. Quels sont les filtres d’exclusion ? Applique-t-il des critères de sélection explicites sur le thème de l’environnement ? Quelle est sa politique de vote en Assemblée générale d’actionnaires ? Autant d’éléments intéressants à décrypter.

 

« Le Label Greenfin est l’un des labels les plus exigeants puisqu’il impose une obligation de résultat »

 

Scala Patrimoine. Vous avez aussi créé votre propre indicateur : la NEC pour « Net Environmental Contribution ». Comment fonctionne-t-il ?

La Nec mesure pour chaque activité le degré de contribution et de compatibilité de son modèle économique avec la transition écologique et avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Elle s’échelonne de -100% pour une activité fortement destructrice de capital naturel à +100% pour les activités à impact environnemental net fortement positif. Cet indicateur est holistique et a donc vocation à analyser 100 % de l’activité de l’entreprise. Autrement dit, il mesure l’ensemble du cycle de vie d’un produit et d’un service et ses impacts environnementaux sur 6 dimensions : climat, biodiversité, ressources, déchets, eau et qualité de l’air. Notre indicateur est en perpétuelle amélioration. Les connaissances scientifiques sur les impacts environnementaux des activités progressent et les technologies évoluent. Ces informations nous donnent cependant une bonne appréhension de l’impact de l’activité d’une entreprise. Nous mettons d’ailleurs notre méthodologie à disposition de tous, et ce gratuitement.

Scala Patrimoine. Les sociétés de gestion disposent-elles de suffisamment de données pour appliquer une stratégie en faveur de la transition climatique ? L’affaire Orpea peut-elle remettre en cause l’utilisation faite de ces données ?

L’information est déjà présente en très grande quantité. Il ne sert à rien de disposer d’un trop grand nombre de données si l’on n’est pas en mesure de bien l’utiliser. Pour notre part, nous sommes accompagnés par des cabinets de conseil spécialisés en analyse de cycle de vie d’un produit ou d’un service. Leur travail repose sur des bases de données assez précises. Ce sont des sources reconnues et factuelles. Pour vérifier que les entreprises communiquent des données de qualité, les équipes de gestion peuvent, en parallèle, déceler des « signaux faibles » : des problèmes de gouvernance, un management peu collaboratif, de faible rotation des auditeurs favorisant d’éventuels conflits d’intérêts, ou encore des taux d’accidents trop importants au sein des effectifs …