Sylvain Guillaud-Bataille (Notaire) : « Le Family Buy out repose sur un mécanisme de donation »
Nombreux sont les entrepreneurs proches de la retraite qui souhaitent passer le relai de leur activité à leurs enfants, et ainsi voir l’histoire entrepreneuriale de la famille perdurer. Malheureusement, plusieurs obstacles peuvent se dresser devant eux. D’une part, les héritiers n’ont pas toujours la volonté ou les compétences pour gérer une entreprise. Et d’autre part, lorsque l’un des héritiers présente toutes les qualités requises, il n’est alors pas toujours évident de maintenir l’équité financière entre les cohéritiers. Dans ce cadre, une opération de Family Buy Out peut alors être une réponse tout indiquée. Sylvain Guillaud-Bataille, notaire associé, nous explique les fondements de cette opération.
Scala Patrimoine. En quoi consiste la technique du Family Buy Out (FBO) ? Cette stratégie peut-elle permettre de faire entrer des investisseurs financiers au capital de la société ?
Sylvain Guillaud-Bataille. Le Family Buy Out est l’application de la technique du Leveraged buy-out (LBO) dans le contexte particulier d’une transmission à titre gratuit intervenant, le plus souvent, au profit des enfants. Il convient cependant de se détacher d’un schéma simpliste dans lequel chaque enfant reçoit la même chose, pour aller vers une attribution à l’un ou plusieurs des enfants de certains titres de la société. Je prends l’exemple d’un donateur qui dispose de 100 titres. Il va attribuer à l’un de ses deux enfants, par exemple, la totalité de ses 100 titres, à charge pour cet enfant repreneur de verser à l’autre enfant une soulte. Dans un exemple de donation-partage égalitaire, la soulte sera égale à la valeur de 50 titres.
Dans ce cadre-là, l’enfant repreneur pourrait avoir besoin de financer cette soulte par endettement. Et c’est là que nous retrouvons les réflexes relatifs aux opérations de LBO, transposés au cas d’une transmission intrafamiliale. Le financement de la soulte passant tout simplement par un emprunt bancaire. Sur le plan technique, cette opération se concrétise par la mise en place d’une holding de reprise par cet enfant repreneur, qui apportera les titres reçus à une holding de reprise, à charge pour cette dernière de payer la soulte.
Elle reprendra donc l’actif et le passif. Et c’est ainsi qu’à l’occasion d’une opération de transmission à titre gratuit – ce qu’elle est par essence – le FBO peut aussi être l’occasion d’accueillir un tiers investisseur au tour de table.
« Le Family Buy Out va être l’occasion de rechercher l’adhésion des repreneurs et donc de viser à l’équilibre familial le plus solide possible »
Scala Patrimoine. Quels sont les avantages pour les parties prenantes ?
Chaque partie prenante, donateur comme donataire, trouvera des avantages à ce dispositif. D’abord, du côté du donateur, cela va être l’occasion de rechercher l’adhésion du ou des repreneurs et donc de viser à l’équilibre familial le plus solide possible.
Plus concrètement, l’intérêt familial, à court terme, peut être divisé en deux catégories.
D’abord, un intérêt fiscal puisqu’on va pouvoir coupler cette opération avec le bénéfice du dispositif Dutreil applicable en matière de transmission d’entreprise à titre gratuit. Et on va pouvoir appliquer ce Dutreil sur la totalité des titres transmis, et pas seulement la moitié des titres transmis.
Ensuite, on va trouver un intérêt aussi pour ceux ou celui des enfants qui ne souhaitent pas reprendre l’entreprise. Il pourra ainsi disposer de liquidités de manière à être libéré de toute contrainte. Ces enfants pourront de ce fait réinvestir librement les sommes reçues, dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé.
Scala Patrimoine. Quelles sont les incidences fiscales de cette opération ?
Le Family Buy out repose sur un mécanisme de donation, le plus souvent une donation-partage. Donc, la première incidence se joue en matière de transmission à titre gratuit et de droit de mutation à titre gratuit, qu’on appelle souvent les droits de donation. Et à ce sujet, on peut faire application du dispositif Dutreil. Mais encore faut-il pour cela vérifier l’applicabilité du dispositif Dutreil à la transmission envisagée. Et si le dispositif est applicable, alors le Dutreil s’appliquera à la totalité des titres transmis.
Le deuxième ressort fiscal de cette opération repose sur la fiscalité des groupes de sociétés. Puisque l’enfant repreneur, comme dans un LBO classique, aura besoin d’une holding de reprise. Et l’effet de levier fiscal dont il profitera est absolument fondamental pour que cette holding de reprise puisse s’acquitter de la soulte qui a été mise à sa charge. Encore faut-il qu’elle puisse percevoir de la part de la société cible des dividendes qui remontent en quasi-exonération de fiscalité. Gardons en mémoire que le frottement fiscal sera de l’ordre de 1 % pour ces dividendes remontants de la cible, versus l’application de la Flat Tax de 34 % (30+4).
« Dans une donation-partage, le mécanisme clé au plan civil du Family Buy Out, c’est qu’il est possible de bénéficier d’une transmission qui n’est pas parfaitement égalitaire »
Scala Patrimoine. Comment rétablir l’équilibre entre les héritiers, si l’un d’eux a été avantagé ?
Dans une donation-partage, le mécanisme clé au plan civil du Family Buy Out, c’est qu’il est possible, contrairement à l’intuition qu’on peut en avoir, de bénéficier d’une transmission qui n’est pas parfaitement égalitaire.
Si j’ai 100 titres et deux enfants, je peux donner les titres à l’un des enfants et lui demander de verser à l’autre une soulte qui ne sera pas nécessairement de 50. Elle pourrait être par exemple de 35, de 40 ou de 45, ce qui permettra donc, avec le plus de souplesse possible, de rechercher le consensus entre les héritiers et d’aller adopter une solution sur mesure pour maintenir l’équité familiale.
Scala Patrimoine. Quels sont les principaux écueils à éviter lors d’un Family Buy Out ?
Je retiens deux principaux écueils. Le principal serait de commettre une erreur ou une approximation sur la valeur de l’entreprise. Je conseille donc de prendre le temps nécessaire pour retenir la valeur de l’entreprise la plus équilibrée possible. Le deuxième écueil à éviter est celui de ne pas obtenir l’accord des différents ayants droit ou de ne pas prendre le temps d’aller chercher un véritable consensus entre eux, puisqu’il faut que chaque ayant droit adhère véritablement à l’opération.
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