Rétrocommissions : l’AMF sonne la fin d’une époque
La récente sanction infligée à la société de gestion Altaroc Partners par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pourrait bien constituer un tournant décisif pour l’ensemble de la profession. Derrière ce que l’on nomme déjà « l’affaire Altaroc » se joue en réalité l’avenir des rétrocommissions, ces rémunérations versées à une grande partie des conseillers en investissements financiers (CIF) par les sociétés dont ils distribuent les produits.
Un rappel à l’ordre sans ambiguïté
La commission des sanctions de l’AMF a condamné Altaroc Partners et deux de ses dirigeants à une amende de 1,3 million d’euros. En cause : la diffusion d’informations jugées inexactes, trompeuses ou insuffisamment claires dans près de 87 % de ses supports de communication.
Mais au-delà de ce grief, l’Autorité s’attaque à un modèle économique solidement ancré : celui des rétrocessions non justifiées. Le rappel est net : ces commissions ne sont légitimes que si elles correspondent à un service réel et tangible rendu au client.
Le système des rétrocommissions fragilisé
Aujourd’hui, près de 95 % des conseillers en gestion de patrimoine (CGP) et CIF reposent leur rémunération sur ce mécanisme. Les clients ne paient donc pas directement leurs conseils : ce sont les sociétés de gestion qui, via les rétrocommissions, assurent la rémunération. Seuls 5 % des cabinets ont fait le choix de l’indépendance, en alignant pleinement leurs intérêts sur ceux de leurs clients grâce à un modèle de facturation entièrement basé sur les honoraires.
Or, dans le cas du private equity — où les capitaux sont immobilisés sur de longues périodes sans possibilité d’arbitrage — la tentation existe pour certains conseillers de se faire plus discrets… tout en continuant de percevoir leurs commissions.
Un signal fort au marché en faveur de l’indépendance
En choisissant de frapper Altaroc, l’AMF vise un acteur majeur : le plus important distributeur de commissions à destination des CGP, qui avait fait des rétrocessions un levier d’acquisition clients. L’« effet martingale » du private equity trouve ici ses limites.
Le message du régulateur est sans ambiguïté : il ne s’agit pas de bannir les rétrocommissions, mais de les conditionner strictement à une valeur ajoutée démontrable.
Deux exigences ressortent de cette décision :
– Les rétrocessions doivent être justifiées et ne pas aller à l’encontre de l’intérêt du client.
– Les sociétés de gestion doivent garantir un suivi rigoureux et un conseil de qualité, tout au long de la durée de vie du fonds.
Un bouleversement qui dépasse le simple cadre d’Altaroc
Les conséquences pourraient être profondes. Les cabinets de petite taille, notamment unipersonnels, risquent de peiner face à ces nouvelles obligations. La concentration du marché devrait donc s’accélérer, tant du côté des CGP que des sociétés de gestion.
Pour séduire les distributeurs, ces dernières devront désormais développer des outils de suivi plus sophistiqués et fournir des solutions « clé en main », au risque d’alourdir encore la complexité du système.
Vers un modèle plus transparent et indépendant ?
Guillaume Lucchini, associé fondateur du multi family office Scala Patrimoine, salue cette évolution avec enthousiasme : « Chez Scala Patrimoine, nous défendons depuis toujours un modèle limpide : un conseil 100 % transparent, indépendant, et exclusivement rémunéré par des honoraires. La décision de l’AMF va clairement dans le bon sens, puisqu’elle replace l’intérêt du client au cœur du dispositif. Nous avons toujours considéré que le système des rétrocessions ouvrait la porte à de nombreux conflits d’intérêts. Voir l’Autorité exiger désormais que ces rétrocessions soient adossées à une véritable prestation constitue, selon nous, une avancée majeure. C’est le premier pas vers un écosystème plus vertueux. Certaines sociétés de gestion ont déjà pris les devants en amorçant ce virage, mais l’obstacle reste de taille. La véritable question est désormais de savoir si l’ensemble de la profession saura s’adapter à ce nouveau paradigme. »
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