Romane Azzopardi : « Le “Big Beautiful Bill” creuserait le déficit américain de 4000 Md$ sur 10 ans »

Sans surprise, Moody’s a abaissé la note souveraine des États-Unis, retirant ainsi le dernier triple A encore en vigueur, après Standard & Poor’s en 2011 et Fitch en 2023. Désormais, l’ensemble des agences de notation s’accorde pour tirer la sonnette d’alarme sur la trajectoire inquiétante de la dette américaine, qui a franchi le seuil des 36 000 milliards de dollars. Dans le même temps, l’administration Trump poursuit tambour battant l’adoption de son ambitieux projet de loi budgétaire, surnommé le “Big Beautiful Bill”. Adopté par la Chambre des représentants le 22 mai, le texte devrait être soumis au vote du Sénat d’ici l’été, non sans subir une série d’amendements substantiels.

Romane Azzopardi, responsable de la gestion financière chez Scala Patrimoine, nous éclaire sur les grands enjeux entourant l’élaboration du futur budget de la première puissance économique mondiale.

Quelles sont les grandes orientations du budget américain pour 2026 ?

Romane Azzopardi. La feuille de route de Donald Trump est sans équivoque : il entend proroger les baisses d’impôts initiées en 2017, tout en lançant une nouvelle vague de réductions fiscales, le “Big Beautiful Bill”. En parallèle, le projet prévoit 350 milliards de dollars de dépenses supplémentaires, destinées notamment au financement d’un vaste programme d’expulsions migratoires ainsi qu’au renforcement du budget alloué au Pentagone. Du côté républicain, des coupes budgétaires significatives sont envisagées. Elles pourraient frapper en priorité le programme de santé Medicaid, qui assure actuellement une couverture à quelque 70 millions d’Américains, ainsi que les subventions accordées aux énergies renouvelables dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, fer de lance de la politique climatique de Joe Biden.

En matière de recettes, la Maison-Blanche tablait initialement sur des revenus dépassant les 6 000 milliards de dollars sur dix ans, issus de la hausse des droits de douane à l’importation. Un chiffre aujourd’hui revu à la baisse, à la lumière des discussions commerciales en cours avec les principaux partenaires des États-Unis.

« Cette situation pourrait, à terme, inciter la Réserve fédérale à assouplir plus rapidement sa politique monétaire »

Risque-t-on un dérapage incontrôlé du déficit ?

Romane Azzopardi. Selon les projections du Congressional Budget Office, ce projet de loi pourrait creuser le déficit de près de 4 000 milliards de dollars sur la prochaine décennie. Ce montant fait l’objet de vives dissensions au sein du camp républicain et alimente les craintes des marchés financiers, déjà préoccupés par la soutenabilité de la dette fédérale. Les taux souverains à 20 ans ont renoué avec leurs sommets, dépassant le seuil des 5 %, alors que le Trésor américain devra refinancer près de 7 000 milliards de dollars de dette à des conditions bien plus onéreuses — un fardeau qui alourdira mécaniquement le coût du service de la dette.

L’administration Trump mise sur un rebond de la croissance pour résorber le déficit. Mais les perspectives actuelles de l’économie américaine restent en deçà du niveau des taux d’intérêt, ce qui accentue encore la pression sur les finances publiques. Cette situation pourrait, à terme, inciter la Réserve fédérale à assouplir plus rapidement sa politique monétaire, alors même que l’inflation semble pour l’instant contenue et que le marché du travail amorce une normalisation progressive.