Loi Sapin 2 et Assurance-Vie : de nouvelles contraintes pour l’épargnant !
Le 3 novembre 2016, le Sénat a adopté en deuxième lecture le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dit “Sapin 2”). Les sénateurs ont maintenu les dispositifs prévus à l’article 21 bis qui permettent (i) de bloquer temporairement, en cas de crise grave, les rachats sur contrats d’assurance-vie, et (ii) de moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices. Le contexte de taux bas a accéléré l’adoption de cette loi qui a aujourd’hui deux objectifs : éviter une crise importante en cas de remontée des taux et encadrer les rémunérations des fonds en euros. L’article 21 bis de la loi Sapin 2 prévoit désormais le renforcement des pouvoirs macro prudentiels du Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) afin de préserver le secteur de l’assurance-vie en cas de risque systémique.
Si la presse spécialisée et généraliste s’est faite l’écho en 1ère lecture de ces mesures particulièrement contraignantes pour l’épargnant français, article prévoyant initialement que le HCSF sur proposition du gouverneur de la Banque de France pouvait « suspendre, retarder ou limiter, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat », il est nécessaire de rappeler que l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) disposait déjà de cette faculté néanmoins limitée à un niveau microprudentiel c’est-à-dire à une compagnie d’assurance déterminée. Lors du krach boursier de 2008 lié aux subprimes, il avait été question un moment de la mettre en application pour protéger certains acteurs français des répercussions de cette crise américaine sur le marché français. Ces mesures conservatoires ne pourront d’ailleurs être prises que pour faire face à des situations exceptionnelles telles que la préservation de la « stabilité du système financier » ou la prévention des « risques représentant une menace grave et caractérisée pour la situation financière des compagnies d’assurance, mutuelles et prévoyances ».
Confirmées en 2ème lecture devant l’Assemblée nationale le 29 septembre 2016, ces mesures conservatoires ont été cependant largement assouplies en 2ème lecture devant le Sénat le 3 novembre 2016. Pour faire face aux mêmes conditions exceptionnelles précitées et en vertu des nouvelles dispositions de l’article 21 bis 5 ter a), b), b bis) nouveau et c), le HCSF n’est plus en mesure que de respectivement :
- « Limiter temporairement l’excercice de certaines opérations ou activités, y compris l’acceptation de primes ou versements » ;
- « Restreindre temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs » ;
- « Limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat » ; et
- « Retarder ou limiter temporairement, pour tout ou partie du portefeuille,[] la faculté d’arbitrages ou le versement d’avances sur contrat ».
Le HCSF pourra renouveler pour une période de trois mois les dispositions prévues à l’article 5 ter à l’exception du c) dont les mesures ne pourront être maintenues au maximum dans la limite de 6 mois consécutifs.
Les sénateurs ont justifié leur décision afin d’assurer tout d’abord la constitutionnalité des nouvelles mesures conservatoires. Ils ont ensuite estimé que les anciennes dispositions de l’article 21 bis 5 ter c) portaient « atteinte au droit de propriété et risquaient d’avoir des conséquences sur l’assurance-vie, placement préféré des Français. Il s’agissait de préserver les droits des épargnants en matière de contrats d’assurance-vie. Limiter à six mois les mesures de limitation temporaire par le HCSF du paiement des valeurs de rachats sur certains contrats d’assurance-vie serait donc une garantie pour les droits des épargnants. »[1].
Le deuxième volet de cette loi a pour objectif également de rappeler à l’assureur que dans un contexte actuel de taux très faible (l’OAT à 10 ans étant à 0,12 % au 28 septembre 2016) il est inconcevable de proposer à l’épargnant un rendement garanti supérieur à 2%. Le texte prévoit ainsi de limiter la rémunération des fonds en euros en permettant au HCSF la possibilité de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices ».[2]
Il en ressort aujourd’hui pour l’épargnant français un double constat. Il est nécessaire pour lui de diversifier ses actifs sur plusieurs assureurs et de limiter son investissement en fonds en euros et cela à double titre. D’une part les rendements risquent de se dégrader fortement, la disparition même du fonds en euros est fortement débattus, et d’autre part en cas de remontée des taux, les sorties du fonds en euros et les arbitrages sur unités de compte pourraient être limités temporairement pour tout ou partie du portefeuille, comme pour le paiement des valeurs de rachat. Seuls les contrats d’assurance-vie luxembourgeois, non soumis de fait à la loi Sapin 2, pourraient bien être la solution pour échapper à l’application de cet article 21 bis.
Côté français, si les fonds en euros dernière génération vont tirer leur épingle du jeu de cette situation, il est fort à parier que leur limitation en montant sera monnaie courante à l’avenir. Certains assureurs ont d’ailleurs commencé à restreindre l’accès à leurs fonds en euros, Spirica ou Apicil pour ne citer qu’eux. Pour d’autres, le constat actuel nécessiterait des modifications plus en profondeur. Chez Axa, « la garantie totale en capitale devrait être repensée au profit d’une garantie partielle » selon Thomas Buberl son nouveau patron.
Il est désormais loin le temps du rendement sans risque. L’épargnant devra intégrer désormais la prime de risque dans l’élaboration de sa stratégie patrimoniale, ce qui nécessitera un minimum de réflexion et un accompagnement sur le long terme. Il sera donc nécessaire désormais d’envisager un possible blocage de son épargne dans la durée pour pouvoir bénéficier d’un minimum de rendement.
De nombreux professionnels ont depuis quelques mois trouvé la parade en mettant en avant les « produits structurés », outil assurant la perception d’un rendement en fonction d’un cahier des charges prédéfini par contrat. Si ces outils peuvent pour certains être assimilés à des outils « sécurisés » en fonction des points d’entrée, ils n’en restent pas moins des unités de compte dont le capital ne sera garanti ou protégé que, si et seulement si, les conditions de marché prévues dans le cahier des charges ont bien été remplies.
[1] Compte rendu analytique officiel du 3 novembre 2016 sur la loi Sapin II.
[2] Article 21 bis 5 bis de la loi Sapin 2
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