Le blanchiment de fraude fiscale : vers une plus grande fermeté et efficacité pénale à compter du 1er janvier 2018
Le 1er janvier 2018 prochain entreront en vigueur les premiers échanges automatiques d’informations bancaires imposées respectivement par les USA, l’UE et l’OCDE. Dans ce contexte, le Ministre de l’Action et des Comptes publics, Monsieur Gérard Darmanin a déclaré programmer la fermeture du Service de Traitement des Déclarations Rectificatives (STDR) au 31 décembre 2017[1]. Ainsi, passé cette date, seule la répression pénale sera ouverte à l’encontre de la fraude fiscale et le blanchiment de fraude fiscale, marquant la fin de la repentance précédemment accordée aux évadés fiscaux français.
Une répression exclusivement pénale de la fraude et du blanchiment de fraude fiscale
Pour mémoire, la fraude fiscale consiste à se soustraire ou tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel d’impôts. Elle revient aussi à omettre volontairement de faire sa déclaration dans des délais prescrits ou encore dissimuler volontairement une part des sommes sujettes à des impôts. L’organisation de son insolvabilité ou la mise d’obstacles par d’autres manœuvres au recouvrement des impôts rentrent dans la définition de la fraude fiscale. Les auteurs personnes physiques de fraude fiscales sont passibles d’une amende de 75.000€ et d’un emprisonnement de 5 ans[2].
Le blanchiment revient à faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Le concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit est également un blanchiment[3]. Les auteurs personnes physiques de blanchiment sont passibles de 375.000€ d’amende et 5 ans d’emprisonnement[4]. Ces peines pourraient être doublées en cas de circonstance aggravante[5].
Consistant en la combinaison des deux concepts précités, le blanchiment de fraude fiscale est une infraction de conséquence tout en étant aussi une infraction générale, distincte et autonome selon une jurisprudence désormais ancienne[6]. Ainsi, à côté des poursuites fiscales organisées par l’administration fiscale pour obtenir le recouvrement de l’impôt, des poursuites pénales autonomes pourront être aussi engagées par le ministère public pour des faits de blanchiment de fraude fiscale1.
Avec la fermeture du STDR précitée, la répression de ces infractions sera uniquement pénale.
Des États solidaires contre la fraude et l’évasion fiscale
Face à la rareté croissante des recettes publiques et dans le sillage de la crise de la dette souveraine de 2010-2011, les États se sont mis en ordre de marche pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Au travers de réglementations internationales, européennes et nationales, la fraude et le blanchiment de fraude fiscale font l’objet d’une répression pénale de plus en plus lourde.
Longtemps impuissants face à la fraude fiscale, les États ont pris conscience de la nécessité d’en finir avec l’évasion fiscale transfrontalière favorisée par les paradis fiscaux[7]. Dans un contexte de manque à gagner de recettes publiques post crise de la dette souveraine[8] et chiffré par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre 100 et 240 milliards de dollars par an, il était devenu urgent de renforcer l’efficience et l’efficacité de la perception de l’impôt[9].
Au plan international, les États du G20 sont arrivés à un accord de principe sur un projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices[10] dont l’élaboration de la norme commune de déclaration a été confiée à l’OCDE[11]. Parallèlement, les États-Unis (USA) ont imposé au reste du monde leur propre échange automatique d’informations financières et fiscales sous la réglementation dite FATCA[12]. Trouvant l’idée pertinente, l’Europe a dans la foulée adopté une législation équivalente2 pour notamment mettre fin au secret bancaire et à la dissimulation des avoirs au sein de l’Union européenne (UE).
Au plan national, l’Etat français a créé le 21 juin 2013 le Service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) par la circulaire dite Cazeneuve[13]. Ce service permet aux contribuables de déclarer de manière volontaire et spontanée des avoirs non déclarés à l’étranger (notamment contrats d’assurance vie, compte-titres, comptes bancaires étrangers, etc.) pour régulariser leur situation fiscale. Nous noterons que depuis sa création, le STDR a permis à l’administration fiscale française de recouvrir jusqu’à 6,3 milliards d’euro pour 19.161 dossiers et d’en recevoir 46.972 rien que sur l’année 2016 représentant plus de 28,8 milliards d’euro d’avoirs sortis de l’ombre[14].
L’impact pour les Conseils professionnels
Parallèlement aux risques de sanctions précités, la réglementation impose aux professionnels assujettis à des obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (banques, compagnies d’assurance, sociétés de gestion, conseiller en investissements financiers, courtier d’assurance, courtier de crédit, etc.) de procéder à une déclaration de soupçon auprès du service TRACFIN[15], lorsqu’ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner que des sommes proviennent notamment d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an.
En raison du risque d’emprisonnement de plus de 5 ans, la fraude fiscale rentre parmi les infractions pouvant faire l’objet d’une déclaration de soupçon dès lors que les professionnels assujettis précités constatent la présence d’un critère précis[16].
En termes de chiffres, les déclarations de soupçon ont largement progressé en 2016 pour s’établir à 62.259 tous professionnels assujettis confondus (contre 43.231 en 2015 soit +44%). Les banques ont été les principales contributrices avec 46.901 déclarations (contre 31.276 en 2015 soit +50%) et ainsi cumuler 69% des déclarations totales.
Cette explosion déclarative a été principalement le fait de 7 grands groupes bancaires : BNP Paribas, la Banque Postale, Groupe BPCE, Groupe Crédit Agricole, Groupe Crédit Mutuel-CIC, HSBC, Société Générale.
Les déclarations ont porté pour 10% sur des enjeux financiers de moins de 100.000€, 56% entre 100.000€ et 1M€, 30% entre 1M€ et 10M€ et 4% pour plus de 10M€. Cet afflux, massif et continuel au cours de l’année dernière de déclarations ont été particulièrement suivi par le service TRACFIN[17].
Nous noterons, enfin, qu’en 2016 les 5 catégories les plus déclarées et transmises à la justice ont été la fraude fiscale (99 transmissions), l’abus de confiance (93 transmissions), le travail dissimulé (85 transmissions), l’abus de biens sociaux (68 transmissions) et l’escroquerie (simple ou aggravée, 67 transmissions).
La fermeture programmée du STDR impactera ainsi autant la profession de conseiller en gestion de patrimoine que l’entrée en vigueur des réglementations européennes MIF 2, DDA et PRIIPS (sur les enjeux de cette réglementation, 2018, une année décisive pour le conseil en gestion de patrimoine).
Robert Devin – Directeur juridique Scala Patrimoine
[1] Interview intitulé Gérald Darmanin « la lutte contre la fraude fiscale ne pourra pas combler nos déficits » paru le 14 septembre 2017 dans Libération.
[2] Article 1741 du Code générale des impôts.
[3] Article 324-1 du Code pénal.
[4] Article 324-1 alinéa 3 du Code pénal.
[5] Les fonctions de Ministre dans l’affaire Cahuzac aurait pu être considérées notamment comme circonstance aggravante.
[6] Cass. Crim 20 février 2008, pourvoi n°07-82977 arrêt dit Talmon.
[7] Rapport n°1130 de Yann Galut fait au nom de la commission des lois relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et déposé le 12 juin 2013.
[8] Le 22 juillet 2011, les dirigeants des 17 pays de la zone euro consentaient une nouvelle aide financière à la Grèce pour plus de 109 milliards d’euro.
[9] Considérant n°2 de la Directive 2014/2014/107/UE du conseil du 9 décembre 2014 modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal.
[10] Par l’accord 19 juillet 2013, les États membres du G20 ont lancé le projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS) visant à remédier à cette situation.
[11] La norme commune de déclaration (Common Reporting Standard – CRS) permet à plus de 99 pays participant dont les États membres de l’Union européenne de s’échanger de manière automatique des informations sur les avoirs financiers détenus à l’étranger par leurs résidents fiscaux d’après la note d’information de l’OCDE sur l’échange automatique de renseignements du 18 juin 2013.
[12] Foreign Account Tax Compliance Act (FACTA) du 27 octobre 2009.
[13] Circulaire du 21 juin 2013 sur le traitement des déclarations rectificatives des contribuables détenant des avoirs à l’étranger a créé le STDR, service rattaché à la Direction générale des finances publiques (DGFIP).
[14] Chiffres Ministère de l’Economie et des Finances – septembre 2016.
[15] Le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) est un service du ministère de l’Economie et des finances créé par la Loi n°90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants pour combattre le blanchiment de l’argent de la drogue. Il lutte aujourd’hui contre tous les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
[16] Articles L.561-15 et D.561-32-1 du Code monétaire et financier renvoyant aux 13 critères fixés par le Décret n°2009-874 du 16 juillet 2009 pris pour l’application de l’article L.561-15 II du Code monétaire et financier dont notamment le refus du client à produire des pièces justificatives quant la provenance des fonds reçus ou quant aux motifs avancés des paiement, l’impossibilité de produire les pièces précitées ; l’utilisation de société écran ; le recours à l’interposition de personnes physiques ; la réalisation d’opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles des entreprises concernées.
[17] Rapport d’activité TRACFIN 2016 publié le 19/07/2016.
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