Audrey Tcherkoff (Institut de l’Économie Positive) : “Les entreprises ont poursuivi leur effort en matière environnementale”

L’institut de l’économie positive assiste les organisations publiques et privées dans le cadre de leur transition vers une croissance durable et positive. Audrey Tcherkoff, sa Présidente Exécutive et membre du Jury du Prix de la Finance Verte 2022, nous explique comment les entreprises conduisent leur transformation, dans un environnement sanitaire et économique incertain.

Scala Patrimoine. Quels sont les principaux fondements de l’économie positive ?

Audrey Tcherkoff. L’économie positive est constituée de deux piliers : faire passer le long terme avant le court terme et s’inscrire dans le cadre d’un capitalisme « patient ». Autrement dit, travailler sur des temps plus longs dans le but d’obtenir des résultats qui ne vont pas participer à la destruction de la planète ou fragiliser l’équilibre social. Notre humanité ne pourra pas survivre si les hommes politiques et les dirigeants d’entreprises ne pensent qu’à leur réélection ou au parcours boursier de leur société. Il convient de favoriser l’émergence de nouveaux modèles économiques et de rentabilité qui ne soient pas uniquement fondés sur le principe de moindre nocivité. Au contraire, les entreprises devront avoir un véritable impact positif sur notre société. Les dépenses réalisées par les sociétés pour accélérer leur transformation devront ainsi être considérées comme un investissement de long terme, et non plus un centre de coûts.

Scala Patrimoine. Qu’est-ce que l’Institut de l’Économie Positive ?

Audrey Tcherkoff. L’institut est une émanation de la fondation Positive Planet. Depuis près de 20 ans, la fondation est le témoin du dysfonctionnement de nos sociétés. En réponse, nous avons donc décidé de créer une organisation qui serait au carrefour des enjeux publics et privés, et ainsi rassembler l’ensemble des parties prenantes autour d’un mouvement ayant vocation à redonner espoir. Notre volonté est d’apporter des réponses très concrètes pour permettre aux acteurs de la société de se saisir des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Or, les éléments qui ne se mesurent pas n’existent pas. L’institut s’est donc fixé pour mission de mesurer la positivité des acteurs économiques, c’est-à-dire l’impact à long terme des nations, des entreprises et des territoires (ville, département, région). Nous guidons également ces acteurs dans leur transformation en leur apportant le conseil adéquat et en organisant des moments d’échanges dans le cadre de forums internationaux.

 

 « La transformation positive d’un groupe ne peut pas se faire au détriment de sa stabilité financière »

 

Scala Patrimoine. Quels sont les obstacles à la transformation positive des entreprises ?

Audrey Tcherkoff. Deux freins prédominent : la course à la profitabilité sans fin et le manque d’alignement entre nos valeurs et nos actes. L’Homme est capable de grandes prouesses techniques et technologiques. Mais à force de mobiliser ce génie sur la destruction des richesses de la planète, ses capacités se retournent contre lui. Les leviers de réussite sont pourtant très nombreux. Or, certains secteurs vont devoir s’adapter, au risque de s’affaiblir. Je pense notamment à ceux de la pétrochimie, du tourisme ou de l’aviation. Nous venons de réaliser une enquête auprès des salariés du secteur privé. Dans leur immense majorité, ils plébiscitent la mise en œuvre d’une dynamique de transformation positive, impulsée par leur entreprise. Au-delà de l’implication du top management, condition sine qua non de succès, cette transformation doit s’appuyer sur un véritable plan stratégique. Toute la chaine de valeur de l’entreprise doit être partie prenante de ce changement.

Scala Patrimoine. Lorsqu’il était à la direction Danone Emmanuel Faber, a souhaité accélérer l’engagement sociétal du groupe, en mettant en œuvre un plan appelé « Local first ». La crise du Covid-19 et des problèmes de gouvernance ont cependant poussé les actionnaires à l’évincer. Cet épisode ne montre-t-il pas les limites de l’économie positive, dans un contexte économique difficile ?

Audrey Tcherkoff. Dans des périodes de grandes incertitudes, la nature humaine a tendance à se recentrer sur un cadre de confiance. Pour une entreprise, le maintien des profits de court terme en est un. Nous sommes les premiers à souligner que la transformation positive d’un groupe ne peut pas se faire au détriment de sa stabilité financière. L’Institut de l’économie positive est cependant convaincu que ce sont les acteurs les plus audacieux qui réussiront à disrupter le marché. Malheureusement, nous sommes depuis trop longtemps enfermés dans la dictature du court terme. Mais ce schéma de pensée atteint aujourd’hui clairement ses limites.

 

« Les travaux en cours sur la taxonomie européenne constituent un pas de géant »

 

Scala Patrimoine. Chaque année, l’Institut de l’économie positive publie un baromètre de la positivité des entreprises du CAC 40. Vous y étudiez notamment leur empreinte environnementale. Quels en ont été les principaux enseignements ?

Audrey Tcherkoff. Notre baromètre propose une analyse de la performance durable des entreprises classées au premier rang de l’économie française. Cinq dimensions vitales sont passées au crible : les conditions de travail et l’engagement des collaborateurs, le partage équitable et inclusif de la valeur, l’empreinte environnementale, les investissements en matière de formation et de recherche ainsi que la vision stratégique de long terme. Tous les résultats sont pondérés en fonction de la transparence dont ces entreprises font preuve. En matière environnementale, en dépit du contexte, ces dernières ont réussi à poursuivre leur effort. Cette crise a accéléré la prise de conscience de la fragilité de nos écosystèmes. Restons toutefois réalistes : la marge de progression est considérable ! Cette année, la notation moyenne des entreprises demeure stable.

Scala Patrimoine. Faut-il durcir la réglementation applicable aux investisseurs (les institutionnels, les banques, voire les épargnants) ? Doit-on les contraindre à se positionner en faveur de la transition climatique, notamment en décarbonant leurs portefeuilles ?

Audrey Tcherkoff. Sans mesures coercitives, nous perdrons un temps précieux. Or, nous n’avons plus le luxe d’attendre. La maison brule ! Les travaux en cours sur la taxonomie européenne constituent, à cet égard, un pas de géant. L’instauration d’une taxe carbone en serait un autre. La contrainte est l’un des moyens, mais ne peut pas être l’unique réponse à nos problèmes. Il est nécessaire de proposer un projet de société qui emporte une profonde adhésion de l’ensemble des acteurs. C’est essentiel de réenchanter le débat, et de donner envie à tous les acteurs de s’engager pour cette cause.