Marina Durand (Scala Patrimoine) : « Le nouveau Label ISR exclut le charbon, le gaz et le pétrole »

Lancé en 2016, le Label ISR français est un label d’État qui certifie qu’un fonds d’investissement intègre bien une dimension extra-financière à son analyse. Celui-ci a cependant été victime de son succès. La présence de sociétés pétrolières dans les portefeuilles labellisés, le manque de contraintes pesant sur les gérants ou encore le scandale Orpea ont, en effet, exposé, ces dernières années, ses manques au grand jour. C’est dans cet esprit que le ministère de l’Économie et des Finances a réformé en profondeur le Label ISR. Marina Durand, Ingénieur patrimonial chez Scala Patrimoine, vous en présente les principales nouveautés.

Quel bilan faites-vous du Label ISR depuis sa création en 2016 ?

Marina Durand. Initialement, le label certifie qu’un fonds d’investissement intègre dans son analyse une dimension extra financière et prend en compte les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) pour sélectionner les entreprises dans lesquelles le fonds investit. C’est le plus grand label responsable en Europe par la taille de ses encours, avec près de 1 200 fonds labellisés, ce qui représente environ 770 milliards d’euros d’actifs gérés.

Le label a permis de mettre en avant des problématiques sociétales importantes. Des sujets qui étaient hélas peu médiatisés à l’époque. Mais, depuis sa création, ce label n’avait pas été révisé. Aussi, celui-ci se trouvait exposé au greenwashing, notamment par la présence de sociétés pétrolières en portefeuille.

Quelles sont les principales nouveautés apportées par la réforme du Label ISR ?

La grande avancée de cette réforme concerne l’intégration d’une dimension climat comme socle du label. Autre nouveauté, le référentiel acte l’exclusion du charbon et des énergies fossiles non conventionnelles. C’est assurément une grande avancée. La portée de cette réforme est à mettre au crédit de Bruno Le Maire qui a souhaité promouvoir un label plus exigeant que celui présenté par le Comité chargé de mener le projet.

Ce nouveau référentiel entrera en vigueur le 1ᵉʳ mars 2024 pour les nouveaux fonds candidats. Les fonds déjà labellisés auront jusqu’en 2025 pour se mettre à jour.

Ainsi, les fonds devront exclure les entreprises qui exploitent du charbon et des énergies fossiles non conventionnelles, comme le gaz de schiste, mais également les entreprises qui lancent de nouveaux projets d’exploitation, d’exploration ou de raffinage d’hydrocarbures, comme le gaz ou le pétrole conventionnel ou non conventionnel. Et enfin, les entreprises du secteur du tabac qui commercialisent des armes controversées ou encore qui violent les droits fondamentaux humains.

« L’environnement devient le socle du Label ISR »

Est-ce qu’il y a d’autres changements ?

Bien sûr, il y a trois axes majeurs d’évolution de ce référentiel. Tout d’abord, l’intégration d’une politique climat dans la gestion de tous les portefeuilles labellisés. En complément des exclusions, les entreprises ayant un fort impact climatique devront s’engager vers une trajectoire de transition alignée avec l’accord de Paris.

Le label ISR conservera, par ailleurs, son caractère généraliste, mais avec une sélectivité renforcée. Le taux de sélectivité passera de 20 à 30 %, c’est-à-dire que les gérants devront exclure de leur portefeuille 30 % des entreprises les moins bien notées dans leur secteur d’activité. Aussi, l’univers d’investissement initial sera plus strict.

Enfin, le concept de double matérialité sera également mis en avant. Les gérants devront ainsi prendre en compte les principales incidences négatives définies dans le règlement européen SFDR 2.

Quelles seront les conséquences de cette réforme ?

Actuellement, 45 % des fonds labellisés ont une exposition au secteur énergétique traditionnel, représentant un investissement total d’environ 7 milliards d’euros. Certains fonds, avec jusqu’à 14 % de leur portefeuille dans ces entreprises, seront particulièrement impactés. Ainsi, Bercy anticipe une perte de 20 % des fonds labellisés ISR. Les nouvelles règles devraient d’ailleurs amener les gérants à exclure certaines entreprises de leurs fonds, comme les grands groupes Shell ou BP.

Par exemple, le fleuron français Total Energy, au cœur de tous les débats, est détenu aujourd’hui dans 161 fonds labellisés.

Finalement, ce nouveau label donne une meilleure transparence, une meilleure information et c’est surtout un label beaucoup plus ambitieux face à l’ampleur des enjeux climatiques actuels. Cette réforme, c’est finalement un nouvel élan pour ce nouveau label.