Opérations d’apport: l’abus est dans la soulte
L’administration fiscale a récemment mis à jour la liste des montages qu’elle considère abusifs en y ajoutant une fiche intitulée « Echange de titres avec soulte – Cas d’abus de droit fiscal ».
Sont visées les opérations d’apport rémunérées à la fois par la remise de titres de la société bénéficiaire et par l’attribution à l’apporteur d’une somme d’argent (soulte) prélevée directement sur les liquidités de la société ou inscrite en compte courant d’associé.
Conformément aux dispositions des articles 150-0 B et 150-0 B ter du Code Général des Impôts, ces opérations bénéficient d’un différé d’imposition pour autant que certaines conditions soient remplies, notamment le fait que la soulte n’excède pas 10% de la valeur nominale des titres reçus à l’occasion de l’apport.
En pratique, de nombreux contribuables se sont placés dans le champ de ces textes afin de réaliser, à l’occasion d’un apport à une société holding, une opération de cash-out en franchise d’impôt immédiate (le plus souvent dans un contexte d’apport-cession ou d’OBO).
L’ajout de cette opération à la liste des montages abusifs ne surprend pas dans la mesure où une récente doctrine administrative publiée au BOFiP (BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20150702 n°170) révélait déjà l’intention de l’administration d’attaquer ce genre de schéma. La fiche publiée fournit cependant des indications sur les situations spécifiquement visées par l’administration, comme celle d’un contribuable réalisant un apport à une société qu’il constitue, avec une soulte (inférieure à 10%) inscrite au crédit du compte-courant de l’apporteur et remboursée par une distribution de dividendes de la société bénéficiaire.
L’administration fiscale estime ainsi pouvoir mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit[1] dès lors que le schéma envisagé révèle (i) la volonté de l’apporteur d’appréhender des liquidités en franchise d’impôt et (ii) l’absence d’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport. Ceci devrait avoir pour conséquence de rendre la soulte imposable à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux, avec éventuellement application de majorations de 80%. Par contre, il semble que la perception d’une soulte ne remette pas en cause l’application du différé d’imposition obtenu lors de l’apport.
L’administration fiscale invite par ailleurs les contribuables concernés par de telles opérations à se rapprocher de leur centre des impôts afin de « mettre en conformité leur situation », sans préciser si cette démarche volontaire serait de nature à éviter automatiquement les pénalités encourues.
Cette annonce intervient dans un cadre plus général de remise en cause des apports avec soulte et doit inciter les contribuables réalisant de telles opérations à la prudence. Nous avons en effet connaissance de plusieurs contentieux dans lesquels l’administration – en dehors de toute procédure d’abus de droit – conteste les valorisations retenues lors d’opérations d’apports afin de pouvoir prétendre que le montant de la soulte est supérieur à 10%. L’effet de ce type de redressement est d’autant plus redoutable qu’il conduit à priver l’apporteur du bénéfice du différé d’imposition sur l’ensemble de la plus-value d’apport (et non seulement à hauteur de la soulte).
La position de l’administration peut être contestée et devra être confirmée par les tribunaux, aucune jurisprudence significative n’existant en la matière. Il sera alors nécessaire de démontrer le fait que l’opération répond à une motivation exclusivement fiscale et qu’il a été fait une application littérale des textes, contraire à l’intention du législateur. Les travaux parlementaires des textes précités, comme l’étude de la directive fusion qui prévoit la notion de soulte, ne permettent pourtant pas de déterminer si la soulte doit nécessairement répondre à une finalité particulière.
Toute opération d’apport avec soulte n’est pas pour autant condamnée. Dans de nombreux cas, elle répond en effet à des motifs juridiques ou économiques et présente un intérêt réel pour la société bénéficiaire, qu’il s’agisse de résoudre la problématique des rompus ou qu’elle permette de rééquilibrer des participations dans le cadre d’opérations d’apports conjoints. C’est la raison d’être du mécanisme de la soulte mais cela ne devrait pas être la seule.
[1] Art. L. 64 du Livre des Procédures Fiscales
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