Bio c’Bon, Maranatha, H2O… : quand de fausses promesses tournent au fiasco financier
Tandis que le Tribunal de Commerce vient de désigner le groupe Carrefour à la reprise de Bio c’Bon, des investisseurs particuliers sont pris dans la nasse des placements de l’enseigne bio, en quasi-faillite.
Attirés par la promesse d’une forte rentabilité, victimes de l’appât du gain de nombreux conseillers, ce sont près de 3000 épargnants qui risquent, aujourd’hui, de tout perdre.
Deux ans, c’est le temps qui s’est écoulé entre la lettre circulaire de l’AMF datée du 27 juillet 2018 mettant en garde les associations professionnelles et visant particulièrement les CGP-CIF qui commercialisent les produits financiers Bio c’Bon, et le 8 septembre 2020, date à laquelle l’enseigne française de distribution spécialisée a été mise en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris.
6%, c’est la perspective de gain qui a était proposée aux investisseurs. Les placements Bio c’Bon étaient alors commercialisés par de nombreux Conseillers en Gestion de Patrimoine (CGP) – Conseillers en Investissements Financiers (CIF), qui faisaient miroiter à leurs clients et prospects une certaine sécurité du capital.
114 millions d’euros, c’est le montant total investi par ces particuliers, devenus actionnaires des multiples sociétés détenant des boutiques de la chaine Bio c’Bon, et qui ont aujourd’hui peu de chances de retrouver leur capital.
Après les affaires Aristophil, Maranatha ou encore H2O, le fiasco financier des placements Bio c’Bon met une nouvelle fois en exergue l’insuffisance des associations professionnelles à réguler la distribution de produits financiers auprès de leurs adhérents, les CGP – CIF.
De cette situation, découle inexorablement la question de la responsabilité de toute cette chaine de distribution des produits financiers.
Le paradoxe est criant : c’est tout un pan de la profession qui s’attribue, abusivement, la qualification de « conseiller ». En majorité, ces professionnels sont en réalité des « courtiers », dont l’activité consiste à commercialiser des produits financiers sur lesquels ils perçoivent une commission. Les mots comptent, puisque ce modèle de rémunération génère, de facto, un conflit d’intérêts, diamétralement opposé à l’idée d’un conseil dispensé dans le seul intérêt de l’investisseur.
Une réalité qui éclaire sous un nouveau jour les fausses promesses de rentabilité, faites à des épargnants qui se retrouvent investis dans des produits financiers à la toxicité avérée.
Placements douteux et conseillers non indépendants : une mécanique dangereusement efficace
Si, dans toutes ces affaires, c’est la toxicité des produits financiers qui est mise en avant, c’est en réalité le modèle économique d’une majorité de conseillers, CGP et CIF, qui est toxique pour les épargnants.
De par sa proximité structurelle avec son client et les modalités de sa rémunération au titre de la commercialisation des produits financiers, les placements douteux ont toujours eu la capacité de se déployer grâce à ce réseau de distribution spécifique. La raison en est très simple : des rémunérations juteuses pour le distributeur. Pour exemple, le CGP-CIF pouvait percevoir en contrepartie de la commercialisation de produits Maranatha un pourcentage de l’investissement fait par ses clients, variant entre 5 et 10%.
Utilisant la confiance que lui apporte son client, le CGP-CIF a permis l’essor de ces offres en surfant sur la baisse de rentabilité des produits dits « traditionnels », dans l’objectif de développer son portefeuille client mais également sa rémunération.
La mécanique est bien huilée : faire miroiter à son client ou prospect des perspectives de rendement alléchantes en mettant en avant une certaine sécurité du capital par l’intermédiaire de son sous-jacent. D’ailleurs, ce sous-jacent aura pour rôle d’assurer inconsciemment à l’investisseur une sorte de sécurité morale en s’adossant à des produits ou économies qu’il comprend. Comment ne pas être alléché à l’idée d’investir dans le Bio à un moment ou le chiffre d’affaire du Bio en France est passé de 3.73 milliards d’euros en 2010 à 11.93 milliards d’euros en 2019. Même constat pour Maranatha, où le désir de devenir « actionnaire » d’un palace primait sur la compréhension et la qualité du produit proposé.
L’AMF, par l’intermédiaire de sa commission de sanction, a eu l’occasion de se prononcer dès 2018 sur les agissements du cabinet Marne & Finance dans le cadre de la commercialisation de produits Maranatha. Conflit d’intérêts, rémunération cachée et encore informations trompeuses, ce cabinet de conseil en gestion de patrimoine d’Angers a été condamné d’une sanction pécuniaire de 300.000€ et un avertissement. Ses dirigeants, quant à eux, ont été condamnés à une amende allant de 30.000€ à 100.000€.
Dans une toute autre affaire concernant la société de gestion H20, la responsabilité du CGP-CIF est également sujette à discussion. En Juin 2019, le blog financier du Financial Times mettait en cause la liquidité de plusieurs fonds d’investissement de la société de gestion H20. En effet, outre une suspicion de conflit d’intérêts au niveau de la direction, il était mis en évidence une exposition très importante d’actifs non côtés engendrant de facto un certain doute quant à la liquidité des fonds. Ces fonds objets du constat ont été commercialisés en masse ces dernières années par les CGP-CIF.
Le vendredi 28 août 2020, soit plus d’un an après les premières remontées d’informations dans la presse spécialisée, H2O a été contraint de suspendre huit de ses fonds, gelant ainsi près de 10 milliards d’euros. Les dommages sont sérieux, pour les investisseurs particuliers concernés, car si ces fonds sont référencés dans un contrat d’assurance vie, c’est le contrat tout entier qui peut se retrouver bloqué par l’assureur.
Le propos ne vise pas ici la qualité de la gestion des équipes de H2O, mais bien le manque d’informations communiquées par le distributeur à son client, concernant le sous-jacent dans lequel il s’apprêtait à investir son capital. Là encore, il est question de la responsabilité conseillers – CGP et CIF – qui ont poursuivi la distribution des fonds H2O en dépit de l’alerte lancée par l’AMF et, surtout, sans en informer pleinement leurs clients. Le manque de liquidité n’est pas un problème, à condition d’en être dûment informé(e).
Courtier et rarement conseiller
Ces affaires relancent donc, de façon particulièrement alarmante, la question de la dénomination de Conseiller en Gestion de Patrimoine ou de Conseiller en Investissements Financiers qu’utilisent les distributeurs de produits financiers.
Le terme de Conseiller renvoi l’idée à l’épargnant d’une certaine sécurité du conseil, d’objectivité et a pour résultat de renforcer la confiance qu’il va donner à son interlocuteur.
Pour autant, force est de constater que cette confiance ne peut s’opérer que si ce dernier agit bien en qualité de Conseil dans l’intérêt du client et non de simple distributeur de produits financiers.
La rémunération de ce dernier, que l’on qualifierait plus justement de Courtier, ne laisse aujourd’hui pas de place au doute, il n’agit au regard de sa rémunération qu’en qualité de distributeur. Raison pour laquelle le Conseiller en gestion de Patrimoine n’a, d’ailleurs, jamais été jusqu’à présent inquiété par la justice dans le cadre de ses fonctions, malgré son rôle déterminant dans l’opération financière réalisée par son client.
L’affaire Bio c’Bon comme H2O devrait mettre un terme à cette impunité collective, ce qui est nécessaire à la transition du métier vers le Conseil en Gestion de Patrimoine Indépendant.
Un métier qui doit faire sa révolution du conseil indépendant, dans l’intérêt des épargnants
Depuis 2018 et la transposition de la directive MIF2[1], l’Autorité des Marchés Financiers a mis en place la distinction entre Conseil en Gestion de Patrimoine (CGP) et Conseil en Gestion de Patrimoine Indépendant (CGPI).
Pour disposer du statut d’indépendant, un conseiller en gestion de patrimoine ne doit percevoir aucune commission dans le cadre de la distribution de produits financiers. Pour l’épargnant, ce statut est une garantie d’indépendance et d’objectivité des solutions proposées, lui évitant le risque de se voir proposer des produits en raison des contreparties financières qui pourraient être reversées à son intermédiaire financier.
Si les cabinets ayant fait le choix de l’indépendance au sens de cette directive sont peu nombreux (moins de 5% du marché), il n’en reste pas moins qu’ils s’inscrivent dans le sens de l’histoire, à l’image du développement des fonds d’investissement « clean share », c’est-à-dire garanti sans rétro-commissions.
Le rôle de conseil ne peut s’inscrire qu’au travers du prisme de l’Indépendance financière et la Transparence, ce qui induit nécessairement une rémunération du Conseil par le client et non par l’opérateur financier au titre de la distribution de produit financier
[1] Directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers et modifiant la directive 2002/95/CE et la directive 2011/61/UE transposée par l’Ordonnance n°2016-827 du 23 juin 2016 relative aux marchés d’instruments financiers.
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