Romane Azzopardi (Scala Patrimoine) : « L’Europe doit transformer ses ambitions en actions »

Le début de l’année s’est révélé particulièrement prolifique sur les marchés financiers, notamment en Europe. Les indices européens, à l’instar du CAC 40, ont enregistré une ascension notable, progressant de près de 10 %, tandis qu’aux États-Unis, le S&P 500 a engrangé un gain d’environ 3 %. Toutefois, la menace de nouveaux droits de douane, brandie par le président américain Donald Trump, demeure un facteur d’incertitude. Cette menace s’est concrétisée par l’imposition de taxes visant spécifiquement la Chine. Romane Azzopardi, responsable de la gestion financière chez Scala Patrimoine, analyse ces grandes tendances économiques mondiales avant d’examiner les principaux risques pesant sur les marchés boursiers.

Scala Patrimoine. Le retour de Donald Trump au pouvoir va-t-il se traduire par une relance économique ou marquer-t-il le début d’une guerre commerciale ?

Romane Azzopardi. Depuis son retour à la tête des États-Unis, Donald Trump enchaîne les annonces économiques, dont l’effet sur les marchés ne s’est pas fait attendre. Depuis sa victoire aux élections présidentielles, la réaction des investisseurs est largement positive, les valeurs américaines étant soutenues par l’anticipation d’une politique favorable à l’activité économique.

Son programme, baptisé “Maganomics”, repose sur trois axes majeurs : une relance industrielle accompagnée de baisses d’impôts pour les entreprises américaines, un durcissement des politiques migratoires et une politique commerciale agressive visant l’ensemble des partenaires des États-Unis. Les premières mesures ne se sont pas fait attendre : Trump a récemment signé un décret instaurant des droits de douane de 25 % sur toutes les importations d’acier et d’aluminium, affectant sans distinction des partenaires clés comme le Canada, le Mexique et l’Union européenne.

La Chine est également visée, avec une hausse immédiate de 10 % des droits de douane sur l’ensemble des biens chinois importés aux États-Unis.
Si ces mesures visent à protéger l’industrie américaine, elles pourraient aussi engendrer des tensions commerciales. En réponse, les pays touchés pourraient adopter des mesures de rétorsion, ce qui risquerait d’alourdir les échanges internationaux et, à terme, de freiner la croissance économique des États-Unis.

Scala Patrimoine. Entre une croissance qui ralentit à l’échelle mondiale et les pressions inflationnistes persistantes, l’équilibre économique semble fragile.

Romane Azzopardi. À court terme, les mesures prises par l’administration Trump devraient stimuler la croissance, en soutenant l’emploi et l’investissement domestique. C’est d’ailleurs cette dynamique qui alimente l’optimisme des marchés en ce début d’année.
Cependant, cette dynamique pourrait rapidement se heurter à des tensions inflationnistes. La Réserve fédérale (Fed), consciente des risques, a déjà marqué une pause dans la baisse de ses taux, laissant planer un doute sur ses décisions futures. Si l’inflation repart à la hausse et que le déficit public – déjà proche des 7 % du PIB – continue de se creuser, la banque centrale pourrait se voir contrainte d’adopter une posture plus restrictive qu’anticipé.

Dans ce contexte, les marchés surveilleront de près l’évolution des prix et la résilience du marché de l’emploi.
Les perspectives de croissance pour 2025 demeurent solides, et les attentes concernant la progression des bénéfices constituent un soutien majeur pour Wall Street. Mais les incertitudes sont nombreuses : quelle sera l’ampleur et l’efficacité des mesures mises en place ? Quelle sera la réaction de la Fed ? Et surtout, comment le reste du monde réagira-t-il face à ces nouvelles politiques ?
Si certaines puissances économiques optent pour des mesures de rétorsion, notamment commerciales, l’impact sur la consommation américaine pourrait être significatif et, à terme, ralentir la dynamique de croissance des États-Unis.

« En Europe, l’investissement reste le véritable défi »

Scala Patrimoine. Faut-il s’inquiéter pour l’économie européenne ?

Romane Azzopardi. Les marchés européens affichent aujourd’hui une décote historique par rapport aux valeurs américaines. Ce déséquilibre ne traduit pas seulement une différence de perception des investisseurs, mais aussi un écart économique qui ne cesse de se creuser.

L’Europe peine à retrouver une dynamique de croissance, freinée par la faiblesse de ses deux principales économies. L’Allemagne, en récession pour la deuxième année consécutive, subit la pression d’un secteur industriel en difficulté et d’une demande chinoise en déclin. Quant à la France, elle fait face à une instabilité politique persistante dans un contexte budgétaire tendu, ce qui érode la confiance des investisseurs. Cela dit, certains facteurs pourraient contribuer à stabiliser la situation dans les mois à venir : la Banque centrale européenne (BCE) a amorcé un cycle de baisses de taux, avec trois nouvelles réductions prévues en 2025, tandis que l’inflation sous-jacente s’est stabilisée depuis quelques mois, allégeant ainsi le coût du financement pour les entreprises et stimulant potentiellement l’investissement. L’Allemagne pourrait, quant à elle, engager un tournant budgétaire après les élections législatives, offrant ainsi davantage de flexibilité pour relancer certains secteurs industriels stratégiques.

Scala Patrimoine. Quel sera le principal défi de l’Europe ?

Romane Azzopardi. L’investissement reste le véritable défi. L’administration Trump prévoit 500 milliards de dollars pour développer l’intelligence artificielle, et l’Europe affiche également sa volonté d’accélérer le développement de l’innovation. L’enjeu pour l’Europe sera de transformer ses ambitions en actions concrètes pour espérer combler son retard technologique et productif face aux États-Unis.

À cela s’ajoute un environnement commercial de plus en plus incertain. Si les politiques protectionnistes de Trump se durcissent, l’Europe risque d’en payer le prix, notamment dans ses secteurs industriels et automobiles déjà fragilisés.
Cependant, cette menace peut être relativisée. Les entreprises d’Europe exportatrices profitent d’un euro affaibli, ce qui renforce leur compétitivité. De plus, nombre d’entre elles ont déjà ajusté leur stratégie en renforçant leur présence aux États-Unis et en localisant une partie de leur production sur place.

« La marge de manœuvre de la Fed dépendra des effets réels des politiques de Trump sur l’économie »

Scala Patrimoine : La Chine peut-elle résoudre les équations économiques et sociétales qui lui sont posées ?

Romane Azzopardi. L’économie chinoise a connu une année 2024 mouvementée, oscillant entre des signaux positifs sur les marchés financiers et des défis persistants sur le plan macroéconomique.

D’un côté, les mesures de relance mises en place par Pékin – baisse des taux, assouplissement monétaire et soutien aux gouvernements locaux – ont permis un rebond des marchés actions chinois, qui ont surperformé l’Inde pour la première fois en trois ans.
D’un autre côté, les faiblesses structurelles demeurent : le secteur immobilier reste en crise, avec une demande faible et un stock d’invendus toujours trop élevé. La consommation intérieure peine à redémarrer, freinée par la prudence des ménages et le chômage des jeunes. Les tensions avec les États-Unis pourraient aussi s’intensifier si Trump applique de nouveaux droits de douane sur les importations chinoises.
Dans ce contexte, la Chine pourrait chercher à diversifier davantage ses exportations en renforçant ses liens avec l’Asie du Sud-Est, accentuant ainsi sa dépendance à la demande externe.

Scala Patrimoine. Quels sont les principaux risques qui pourraient impacter les marchés à court terme ?

Romane Azzopardi. Parmi les principaux risques pesant sur les marchés financiers, cinq méritent d’être évoqués.
En premier lieu, le risque d’escalade de guerre commerciale. Un climat protectionniste sous haute tension pèse sur le monde. L’intensification des mesures tarifaires de Trump pourrait entraîner des représailles de la Chine et de l’Europe, pesant sur les échanges mondiaux et accroissant l’incertitude pour les entreprises exportatrices.

En second lieu, les taux d’intérêt et la politique monétaire américaine. La Fed devra jongler entre soutien à la croissance et risque inflationniste. Sa marge de manœuvre dépendra des effets réels des politiques de Trump sur l’économie.

Le troisième facteur de risque porte sur les résultats des entreprises. Les attentes sont élevées et placent les entreprises sous pression. Les prévisions de bénéfices restent ambitieuses, mais le risque de déception demeure, notamment aux États-Unis.

Le quatrième risque repose sur la politique budgétaire européenne. Le potentiel de relance étant limité par des contraintes fiscales en France et en Allemagne, les marges de manœuvre budgétaires sont réduites, limitant ainsi la capacité des gouvernements à stimuler l’économie face aux défis de croissance et d’investissement.

Enfin, la Chine et sa trajectoire économique posent question. Une stabilisation pourrait créer des opportunités, mais les tensions avec les États-Unis restent un facteur d’incertitude majeur.