2018, l’année des mobilités en demi-teinte ?
La mobilité assurantielle au travers du libre choix d’une assurance emprunteur a été largement renforcée par la publication récente d’une recommandation de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Parallèlement, la mobilité bancaire pourrait connaître une amélioration seulement en demi-teinte. En effet, une ordonnance récente autorise les banques prêteuses à subordonner leurs offres de prêts à des domiciliations de salaires ou revenus assimilés sur des comptes de paiement ouverts dans leurs livres. De telles domiciliations bancaires ne risquent-elles pas d’être en défaveur des emprunteurs et façonner des mobilités à deux vitesses ? Explications sur des dispositions entrant en vigueur au 1er janvier 2018 :
Une recommandation ACPR salutaire : depuis 2010, tous les emprunteurs sont libres d’opter pour les contrats d’assurances externes de leur choix dès lors qu’ils présentent des niveaux de garanties équivalents à ceux proposés par leurs banques prêteuses. Cette mobilité assurantielle a été renforcée par le législateur à deux reprises respectivement par la loi Séparation et de régulation des activités bancaires de 2013[1] et la loi Hamon de 2014[2]. Passé cette date, tous les emprunteurs sont en droit de procéder à la déliaison entre leurs prêts immobiliers et leurs assurances emprunteurs associées et ce même, sous certaines conditions, dans les 12 mois suivant la signature de leurs offres de prêts (cf. nos articles Assurance emprunteur : résiliation et prise en compte du droit à l’oubli du 20/02/2017, Enième rebondissement pour l’extension du délai de résiliation de l’assurance emprunteur du 16/01/2017, Validation de l’extension du délai de résiliation en matière d’assurance emprunteur du 28/11/2016, Vers une extension du délai de résiliation en matière d’assurance emprunteur du 09/10/2016). En effet, les banques prêteuses ne peuvent refuser en garantie des contrats d’assurances externes dès lors que ces derniers présentent un niveau de garantie équivalent à leurs contrats d’assurance de groupe[3]. Début 2015, le Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF) a publié un avis[4] imposant aux banques prêteuses de choisir parmi un listing précis de critères stricts d’équivalence de garanties, avis par la suite repris en norme professionnelle par la Fédération Bancaire Française (FBF)[5] et applicable aux principaux établissements bancaires de place.
Constatant des freins dans la mise en œuvre de la mobilité assurantielle dans le cadre de différents contrôles sur pièces et sur place menés au sein de principaux établissements bancaires, l’ACPR a décidé de publier récemment une recommandation[6] salutaire. Salutaire car dans un contexte de taux bas rendant l’activité de financement/refinancement peu rentables pour des établissements de crédits sous fortes pressions de leurs clients, le coût de l’assurance associée à toute offre de prêt devient donc un enjeu majeur de négociation. Lors de l’adoption de la loi Lagarde en 2010, plus de 8 emprunts immobiliers sur 10 étaient conclus dans le cadre d’une assurance de groupe[7]. Passée cette date, les traitements de demandes d’assurances externes seront grandement fluidifiés et un certain nombre de pratiques dilatoires visant à ralentir ou dissuader l’exercice de sa mobilité assurantielle au travers d’un changement d’assurance emprunteur seront prohibées. A titre illustratif, les banques prêteuses ne pourront plus, en cours de négociation, modifier le taux applicable à votre futur prêt, ni exiger le paiement de frais supplémentaires liés aux travaux d’analyse du contrat d’assurance externe trouvé par les soins de votre courtier ou encore vous forcer à vous déplacer à une agence pour déposer votre dossier ou en obtenir son traitement. En termes de délais, les banques prêteuses auront l’obligations d’indiquer par écrit dans un délai de l’ordre de 2 à 3 jours ouvrés si les demandes sont jugées incomplètes sachant qu’il conviendra de compter un délai maximum de 10 jours ouvrés pour le traitement de toute demande de changement d’assurance emprunteur avant l’émission d’offres de prêt. Elles devront enfin mettre à la disposition du grand public notamment les critères d’équivalences de garanties établis par le CSSF directement sur leur site internet par un lien internet simple et visible d’accès.
Une ordonnance n°2017-1090 bienvenue mais en demi-teinte : depuis 2009, les principales banques françaises avaient l’obligation de proposer à leurs clients un service d’aide à la mobilité bancaire conformément à des normes professionnelles[8]. En 2014, le législateur transforme cette obligation professionnelle en véritable obligation légale[9] par la mise en place d’un service automatisé de mobilité bancaire et en 2015, la loi Macron[10] vient décharger les clients souhaitant changer de banque de toutes formalités administratives particulières (cf. notre article 22 jours ouvrés pour changer de banque ! du 7 février 2017). Entrée en vigueur le 6 février dernier sous toutes ces facettes opérationnelles[11], le changement simple de banque ou la possibilité de devenir multi-bancarisés en vue de trouver les meilleures relations bancaires, de financement, de refinancement ou de rachat de crédit a été largement facilité. Les clients concernés donnent un mandat à leur nouvelle banque d’accueil de réaliser l’ensemble des démarchages administratives nécessaires à son transfert auprès de son ancienne banque d’origine.
L’enjeu de la mobilité bancaire n’est, en effet, pas neutre lorsque l’on sait qu’en 2013, ISILIS, principal prestataire sous-traitant de plus de 65 banques françaises (contre 58 en 2010) avait à traiter plus de 3 millions de changements de domiciliations bancaires (contre 2 million en 2010)[12]. Parallèlement, les clôtures de comptes bancaires de particuliers étaient estimées par les professionnels sur la même période à 3,5 millions par an soit un taux de mobilité de l’ordre de 4,5% par an[13]. A titre de comparaison, la téléphonie mobile connaissait un taux de mobilité oscillant entre 6 et 8% et les services de gaz et électricité autour de 8% d’après les chiffres de la Commission européenne sur la même période2.
Cette année, le législateur achève en apparence son cycle de renforcement de la mobilité bancaire en adoptant le 1er juin 2017, l’Ordonnance n°2017-1090[14] dont les dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2018. Passé cette date, les conditions de subordination d’offres de prêt à des domiciliations de salaires ou revenus assimilés d’emprunteurs sur des comptes de paiements ouverts chez des banques prêteuses seront largement encadrés et une telle pratique bancaire courante sera limitée dans le temps. Jusqu’à présent purement oral du fait de l’interdiction des ventes liées, de telles domiciliations seront désormais possibles sous conditions strictes. Les emprunteurs concernés devront tirer en contrepartie de ces domiciliations un avantage individualisé[15]. Ce dernier devra être vérifié dans chacun des contrats de crédits composant les opérations de financement figurant dans les offres de prêts. L’absence d’un tel avantage pourra être lourde de conséquence pour les banques prêteuses fautives puisque les clauses imposant des offres de prêts subordonnées à des domiciliations sans avantages seront réputées non écrites[16]. En pratique, ces clauses seront donc sans effet pour les emprunteurs concernés qui pourront retrouver leur liberté et une mobilité bancaire. Mais que devons nous entendre par avantage individualisé ? Est-ce le taux, est-ce une durée courte de domiciliation, est ce des tarifications préférentielles sur d’autres services bancaires (virement, prélèvement, carte bleue, etc.) ? Pour retrouver cette notion, il conviendra en pratique de se rapporter directement aux offres de prêts pour analyser les avantages individualisés accordés en contrepartie de domiciliation (article L.313-25 du Code de la consommation). Un travail d’analyse sera donc nécessaire par vos soins ou avec l’aide de votre courtier en opérations de banque et en services de paiement. S’agissant de leur durée, les banques prêteuses ne pourront imposer les domiciliations précitées au-delà d’une durée maximum de 10 ans suivant la conclusion des offres de crédits, et le cas échéant, la signature d’avenants à leur contrat de crédit initial[17].
La mobilité assurantielle et/ou bancaire sera donc à vérifier et analyser au cas par cas dans les offres bancaires ou d’assurances emprunteurs ainsi que leurs éventuels avenants passé le 1er janvier 2018.
[1] Loi n°2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.
[2] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite Loi Hamon.
[3] Article L.313-30 du Code de la consommation.
[4] Avis du Comité Consultatif du Secteur Financier du 13 janvier 2015 sur l’équivalence du niveau de garantie en assurance emprunteur impose une liste limitative de caractéristiques de garanties minimales.
[5] Norme FBF juillet 2015, assurance emprunteur des prêts immobiliers aux particuliers équivalence du niveau de garantie.
[6] Recommandation ACPR-R-01 du 26 juin 2017 sur le libre choix de l’assurance emprunteur souscrite en couverture d’un crédit immobilier.
[7] Rapport n°447 de Philippe Dominti du 2 juin 2009 au nombre de la commission spéciale sur le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation, source : Minefe et l’Observatoire des crédits aux ménages.
[8] Changer de banque : un service gratuit pris en charge par les banques, Communiqué de presse FBF du 9 décembre 2014,
[9] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 dite loi Hamon imposant cette obligation au travers des dispositions de l’article L.312-1-7 du Code de la consommation.
[10] Article 43 de la Loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite Loi Macron est définitivement entrée en vigueur le 6 février 2017.
[11] Dans son principe, son automatisation, responsabilité des établissements bancaires et l’indemnisation des titulaires de comptes en cas de dysfonctionnement dudit service.
[12] Rapport sur la mobilité bancaire d’Ines Mercereau, Décembre 2014.
[13] Lettre FBF n°562 « actualités bancaires » de la FBF de juin 2013 page 2).
[14] Ordonnance n°2017-1090 du 1er juin 2017 relative aux offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus assîmes de l’emprunteur sur un compte de paiement dont les dispositions ont été prises sur le fondement du II de l’article 67 de la Loi n°2016-1691 du 9 décembre relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite loi Sapin II.
[15] Article L.313-25-1 du Code de la consommation.
[16] Article L.341-34-1 du Code de la consommation.
[17] Article R.313-21-1 du Code de la consommation dont les dispositions ont été décrétées par le Décret n°2017-1099 du 14 juin 2017 fixant la durée pendant laquelle le prêteur peut imposer à l’emprunteur la domiciliation de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement.
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