Contrôle fiscal : la nouvelle procédure d’abus de droit fiscal enfin commentée

Ce contenu a été mis à jour : l’administration a produit un commentaire du dispositif le 31 janvier 2020. 

La loi de finances pour 2019 consacre un nouveau dispositif d’abus de droit à motif « principalement » fiscal, et non pas seulement « exclusif ».  Cette extension de l’abus de droit vise à écarter les opérations et actes suivant ce nouveau motif.

Nous rappelons qu’il porte sur les actes réalisés à partir du 1er janvier 2020 et sera applicable aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021.

 

Une nouvelle définition de l’abus de droit

 

L’abus de droit, au sens fiscal,  définissait les actes qui ont pour seul motif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales du contribuable.

Selon la loi de finances 2019, l’administration fiscale a dorénavant la possibilité “d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles”.[1]

Ainsi, l’ouverture d’une procédure d’abus de droit ne serait plus limitée à la démonstration qu’une opération poursuit exclusivement un objectif de gain fiscal. Un motif principalement fiscal étend le champ d’application de l’abus de droit, et pourrait aboutir à une insécurité juridique dans l’élaboration de stratégies patrimoniales.

En effet, comment le contribuable est-il sensé déterminer si les avantages autres que fiscaux (familiaux, successoraux, patrimoniaux, commerciaux…) de la stratégie qu’il a mis en place sont assez importants pour que les motifs ne soient pas « principalement fiscaux » ?

Des lignes directrices claires de la part de l’administration sur ce sujet sont plus que les bienvenues. Depuis le vote du dispositif lors de la loi de finances 2019, l’administration a apporté des précisions à plusieurs reprises sur l’application future du nouvel abus de droit, mais à ce jour l’insécurité juridique demeure.

 

 

Conditions d’application

 

La démonstration d’un abus de droit « à but principalement fiscal », comme d’ailleurs l’autre procédure d’abus de droit classique « à but exclusivement fiscal » qui continue toujours d’exister, nécessite la réunion deux 2 éléments : un élément objectif et un élément subjectif.

. L’élément objectif est l’utilisation littérale d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur

. L’élément subjectif est la volonté principale d’éluder l’impôt.

Si les commentaires de l’administration fiscale récemment publiés dans le Bofip (bulletin officiel des finances publiques) du 31/01/2020 se veulent rassurants dans la mesure où la combinaison des 2 conditions légales conduit à ne pas appliquer la procédure du mini abus de droit aux actes dont le but essentiel est l’obtention d’un avantage fiscal sans aller à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable (l’administration souligne en effet que c’est le législateur dans ce cas qui a souhaité encourager un schéma par une incitation fiscale), dans la plupart des autres cas, l’appréciation de l’élément subjectif aboutit à une zone grise.

 

 

Une insécurité fiscale qui demeure

 

La dernière mise à jour Bofip du 31 janvier 2019, apportant un ensemble de précisions quant à l’application du nouveau dispositif est loin de rétablir la sécurité fiscale bouleversée par le nouvel abus de droit.

En effet, elle n’apporte pas de méthodologie définie satisfaisante pour aider le contribuable à déterminer de manière sécurisée si sa stratégie est motivée de façon autre que principalement fiscale. Elle renvoie simplement aux commentaires du Bofip concernant l’article 205 A du CGI, qui est le pendant du nouvel abus de droit en matière d’impôt sur les sociétés. Ce dernier préconise une évaluation factuelle du gain fiscal par rapport aux autres gains de toute nature. Autant une telle méthode peut avoir une justification en matière d’impôt sur les sociétés, où les objectifs autres que fiscaux sont essentiellement économiques et financiers, donc évaluables, autant en matière patrimoniale, l’avantage autre que fiscal est souvent non-quantifiable.

Notre conseil : Lors de chaque opération, pensez bien à coucher sur le papier par écrit et ainsi  cristalliser les motivations ayant conduit à réaliser l’opération dans le contexte de l’époque. De même, faire appel à des professionnels est plus que recommandé, ceux-ci étant habitués à regarder chaque opération à travers le prisme des dispositifs d’abus de droit et à les sécuriser dans leur mise en place.

Cas d’application des pénalités

Contrairement à la procédure de l’abus de droit ‘classique’, la procédure du mini-abus de droit n’entraine pas l’application automatique des majorations de 80 % pour manœuvre frauduleuse ou de 40 % pour manquement délibéré. Ces pénalités pourront toutefois être appliquées par l’administration fiscale dès lors qu’elle les justifie au regard des circonstances de fait et de droit propre à l’affaire considérée.

Nos commentaires :

Il est très vraisemblable que ces sanctions soient largement appliquées dans les faits dès lors que par définition, les contribuables tombant sous le couperet du mini-abus de droit, auront volontairement cherché à éluder ou diminuer leur impôt.

 

 

Les praticiens en émoi

 

Certaines opérations courantes pourraient être remises en cause par cette nouvelle disposition, notamment la donation avec réserve d’usufruit, démembrant la propriété en deux parties (nue-propriété, usufruit). La donation avec réserve d’usufruit permet à un contribuable de conserver l’usufruit tout en transmettant la nue-propriété d’un bien. Conformément à l’article 578 du Code civil, le nu-propriétaire devient propriétaire du bien. Quant à l’usufruitier, il peut en jouir (disposer des revenus, utiliser le bien).

Une crainte s’est élevée dans les rangs des praticiens de la gestion de patrimoine car ce type de donation – en marge d’autres avantages patrimoniaux – permet d’optimiser la fiscalité successorale des bénéficiaires de la donation. En effet, au décès de l’usufruitier, les nus propriétaires recouvrent la pleine propriété du bien sans payer la moindre fiscalité, payée en amont lors de la donation avec réserve d’usufruit, sur une assiette taxable amoindrie, à hauteur de la valeur de l’usufruit évaluée en suivant un barème fiscal établi par l’administration fiscale. [3]

 

 

Le ministère de l’économie rassure les praticiens et les contribuables

 

En appliquant le nouveau dispositif décrit en préambule, le motif « principalement fiscal » pourrait  impacter les donations démembrées, matérialisant un abus de droit et entrainant les sanctions précitées prévues par la loi.

Dans un communiqué publié le samedi 19 janvier, le ministère de l’Action et des Comptes publics précise néanmoins que « la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ».

Bercy ajoute dans le même communiqué que «la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle».

En clair, faire une donation avec réserve d’usufruit n’est pas contraire à l’intention du législateur, la condition objective pour l’application du mini-abus de droit n’est pas remplie et par conséquent le nouvel abus de droit ne peut pas s’appliquer.

 

 

Illustrations pratiques fournies par l’administration fiscale

 

L’administration, dans sa doctrine, fournit les 3 exemples pratiques suivants :

  • La donation d’usufruit temporaire au profit d’un enfant majeur hors du foyer fiscal du donateur (elle permet à l’enfant majeur d’occuper temporairement le logement ou de percevoir des revenus locatifs) :

Malgré l’économie d’impôt sur la fortune immobilière (qui peut être substantielle dès lors que les biens grevés d’usufruit doivent en principe être compris dans le patrimoine de l’usufruitier pour leur valeur en pleine propriété), l’opération ne serait pas écartée par l’administration fiscale comme étant abusive dès lors qu’est est justifiée par la volonté d’aider un enfant majeur à financer ses études.

Le caractère temporaire d’une transmission d’usufruit n’est pas en soi abusif dès lors qu’il est doté d’une substance patrimoniale effective et ne prévoit pas de clauses manifestement abusives (telles qu’une donation librement révocable par le donateur).

  • La donation d’usufruit temporaire à un organisme sans but lucratif (elle procure un rendement financier par un loyer ou des dividendes sur la durée de l’usufruit temporaire) :

Même si elle permet de réaliser une économie d’impôt très importante, elle est justifiée par le fait que le donateur se dépouille irrévocablement des fruits attachés à l’actif donné en poursuivant un objectif charitable valable et non négligeable.

  • Les transmissions anticipées de patrimoine, y compris lorsque le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis :

Elles ne sont pas concernées par la procédure d’abus de droit sous réserve que les transmissions concernées ne soient pas fictives.

Ces exemples se veulent rassurants mais ils n’apportent pas de méthodologie pour déterminer la frontière du « principalement fiscal ». Par exemple, les stratégies mettant en oeuvre des quasi-usufruits demandent aujourd’hui beaucoup de précaution.

 

 

Le cas des donations-cessions

L’administration fiscale ne s’est, à ce jour, pas prononcée sur les donations avant cession. Très usitées, ces opérations figurent parmi celles dont les praticiens redoutent le plus la disparition avec l’arrivée du nouvel abus de droit.

Mais la doctrine s’accorde majoritairement pour affirmer que le nouveau dispositif ne remettra pas en cause le montage. Le raisonnement pour justifier cela est le suivant : le Conseil d’État (CE 30-12-2011 n° 330940, Motte-Sauvaige : CF-VI-28980) a posé le principe selon lequel les opérations de donation avant cession ne peuvent être attaquées sur le terrain de l’abus de droit qu’en raison de la fictivité de la donation. Or il s’agit là d’un autre type d’abus de droit, distinct de la fraude à la loi, et donc ne faisant pas appel à la notion d’exclusivement ou principalement fiscal. Les stratégies de donation avant cession semblent donc ne pas être remises en cause par le nouvel abus de droit.

 

Enfin, l’article 109 de la loi de finances pour 2019 qui crée l’abus de droit à but principalement fiscal n’a pas encore été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. Il convient d’attendre l’avis des Sages, s’il est saisi, pour statuer sur la constitutionnalité de l’extension de la notion d’abus de droit sachant que ceux–ci ont déjà censuré par le passé une disposition analogue (Décision n° 2013-685 du 29 décembre 2013), au motif « qu’une telle modification de la définition de l’acte constitutif d’un abus de droit a pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale. »

 

 

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