La gestion de patrimoine et le robo-advisoring : romance ou rivalité ?

Le 5 septembre dernier, le Comité Mixte des Autorités Européennes de Surveillance (AES)[1] a publié un nouveau rapport de suivi de ses précédentes conclusions sur l’automatisation des conseils financiers[2]. Quels sont ses principaux enseignements quant à la digitalisation et l’automatisation de la gestion de patrimoine ?

L’avènement du robo-advisoring : depuis la publication en 1950 de l’œuvre fondatrice d’Isaac Asimov Les Robots ainsi que le célèbre test d’Alan Turing[3] la même année, le remplacement de l’homme par des machines fascine autant qu’il effraie. Comme tous les autres secteurs économiques, la gestion de patrimoine n’est pas épargnée par l’arrivée récente d’algorithmes, d’intelligence artificielle, de machine learning, deep learning ou d’automatisation croissante. De nouveaux modes d’accès aux conseils apparaissent permettant aux investisseurs, par l’intermédiaire d’applications digitales ou de sites Internet, de bénéficier d’une gestion de leur épargne générée par des outils automatisés. A l’heure actuelle, il existe principalement deux types de robo-advisor : d’une part des outils hybrides, principalement utilisés dans les secteurs assurantiels et bancaires, recourant aux outils automatisés tout en conservant une certaine intervention humaine ; d’autre part des outils algorithmiques ou des arbres de décision entièrement automatisés, essentiellement dans le secteur financier. Les outils d’automatisation des conseils possèdent trois caractéristiques majeures : (i) une utilisation directe par l’investisseur sans intervention humaine (ou presque) ; (ii) un algorithme ou arbre de décision utilisant les informations fournies par l’épargnant pour produire un conseil personnalisé ; (iii) les conseils ainsi générés sont considérés comme des conseils assurantiels, bancaires ou financiers. Notons que cette automatisation a de réels impacts économiques puisqu’il a été estimé que l’actif global sous gestion de services de conseils automatisés pourrait passer de 20 milliards de dollars à fin 2015 à plus 450 milliards de dollars en 2020[4]. Avec l’émergence récente d’offres entièrement digitales recourant à des outils automatisés, doit-on considérer les robo-advisors comme l’avenir de la gestion de patrimoine ? Sommes-nous prêts à confier notre épargne et nos projets patrimoniaux à des robots sans aucune intervention humaine ?

L’empire (humain) contre-attaque : s’appuyant sur les différents retours et examens des Autorités Nationales de Supervision (ANS), le nouveau rapport du Comité Mixte des AES est riche d’enseignements. L’automatisation des conseils financiers se développe mais lentement. Le nombre total d’entreprises et de clients concernés restant assez faibles, la taille de ce marché semble toujours assez limitée. D’ailleurs, dans les modèles économiques émergents, ce marché est très concentré reposant sur des services automatisés proposés non pas par de pures Fintech mais plutôt au travers de partenariats d’intermédiaires financiers bien établis. De nouvelles tendances émergent telles que l’utilisation du Big Data, de chatbots ou l’accès à une plus grande variété de produits. Les AES et les ANS viennent confirmer les avantages et les risques évoqu29és dans des précédents documents de travail du Comité Mixte[5] et analysés par nos soins. Les robo-advisors favorisent notamment une concurrence salutaire par une réduction des coûts, la récupération de toutes les informations liées aux opérations passées ainsi que la possibilité pour les institutions financières d’offrir aux investisseurs un accès à une plus large gamme de produits et services. Revers de la médaille, la généralisation du recours à des outils automatisés par un grand nombre d’investisseurs pourrait conduire à une certaine volatilité des marchés et d’éventuels risques systématiques. Ces outils connaissent parfois des dysfonctionnements informatiques sans nécessairement de présence ou de contrôle humaine pour les identifier. Les conseils automatisés pourraient être inadaptés aux investisseurs en dépit des informations préalablement communiquées.  Des barrières psychologiques, culturelles ou encore réglementaires empêchent la révolution digitale de la gestion de patrimoine. Les entreprises ont enfin toujours du mal à définir correctement le profil des épargnants ainsi que comprendre leurs objectifs en l’absence d’interaction en face à face. Dans un environnement totalement en ligne et digitalisé, l’investisseur n’est parfois pas en capacité de comprendre les conseils formulés ainsi que les caractéristiques liées (en particulier les coûts) aux produits et services conseillés.

Le bilan du robo-advisoring et des robo-advisoring reste contrasté. La démocratisation de l’acte de conseil est certes devenue une réalité mais à quel prix ? Avec le constat d’un marché limité à croissante lente et poussive, le big-bang des fintechs françaises reste donc toujours attendu, notamment en termes de collectes auprès des épargnants français et internationaux.

 

Robert Devin, Directeur juridique Scala Patrimoine

[1]  Joint Committee of European Supervisory Authorities (ESA’s) respectivement l’European Securities and Markets Authority (ESMA) supervisant le secteur financier, l’European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA) supervisant le secteur assurantiel et l’European Banking Authority (EBA) supervisant le secteur bancaire.
[2] 5 septembre 2018, Joint Committee Report on results of monitoring exercice on ‘automation in financial advice’.
[3] Proposition de test visant à répondre à la question suivante « Les machines pensent-elles ? » et plus particulièrement de savoir si une intelligence artificielle est en mesure d’imiter une conversation humaine en mettant un humain en confrontation verbale à l’aveugle avec respectivement un autre humain ainsi qu’un ordinateur : https://www.csee.umbc.edu/courses/471/papers/turing.pdf.
[4] Selon l’étude indépendante publiée en 2015 par MyPrivateBanking, intitulée “Robo-Advisors 2.0 – How Automated Investing is Infiltrating the Wealth Management Industry”.
[5] Le document de discussion du 4 décembre 2015, Joint Committee Discussion Paper on automation in financial advice et le rapport définitif du 16 décembre 2016, Joint Committee Report on automation in Financial Advice.