Vers un renforcement du droit de résiliation du contrat d'assurance emprunteur
Cette proposition de loi doit encore être adoptée par l’Assemblée nationale, mais le consensus qui se dégage autour de ce texte d’abord auprès du CCSF puis du Sénat permet d’envisager une adoption du texte presque sans réelle modification. Si le texte est adopté il s’appliquera dans un délai de quatre mois à compter de la publication de la loi à tous les contrats en cours à cette date.
La question des avancées des droits des consommateurs dans la résiliation des contrats d’assurance emprunteur reviennent régulièrement dans le débat public tant elle est importante dans le cadre des investissements immobiliers massifs en période de taux bas. L’année 2019 ne fait pas exception, puisqu’une nouvelle proposition de loi du Sénateur Martial Bourquin vise de nouveau à renforcer les droits des emprunteurs. Cette proposition de loi a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité par le Sénat le 23 octobre 2019, et doit désormais être approuvée par l’Assemblée Nationale.
Le Sénateur du Doubs, Martial Bourquin, travaille depuis plusieurs années sur le sujet. A la suite de l’adoption de la loi HAMON[1], il a été à l’origine de la dernière avancée législative en la matière via l’adoption en 2017, de l’amendement BOURQUIN, validée par le conseil constitutionnel (voir notre article) et permettant une résiliation annuelle de l’assurance emprunteur à date d’anniversaire.
Les trois principaux objectifs des différentes législations relatives au droit de résiliation annuelle de l’assurance emprunteur sont les suivants :
- Augmenter la concurrence du marché de l’assurance emprunteur toujours dominé par les établissements de crédit (les assurances groupes représentaient toujours 87,5% des parts de marché en 2017[2]) ;
- La défense des droits du consommateurs en limitant les situations déséquilibrées ;
- La défense du pouvoir d’achat des consommateurs (le coût de l’assurance emprunteur pouvant « représenter jusqu’à 30% du coût total du crédit »[3] – proportion renforcée dans une période de taux bas comme actuellement). Il s’agit ici d’une vraie solution d’optimisation de son patrimoine dans certains cas, puisque jusqu’à 1.000€ par an peuvent être économisés[4].
Ce droit annuel de résiliation à date d’anniversaire du contrat, qui pour rappel peut être actionné par l’emprunteur sous couvert du respect d’un préavis de deux mois, est entré définitivement en vigueur au 1er janvier 2018.
En bientôt deux années de pratique, la nouvelle législation a fait apparaitre au législateur une diminution probante des coûts liés à l’assurance emprunteur liée à l’ouverture à la concurrence. Pour autant, le sénateur fait le constat que le dispositif pouvait encore être amélioré notamment pour contrer les pratiques parfois douteuses de certains établissements de crédit lors des demandes de résiliation.
La proposition de loi intervient deux points principaux que sont le renforcement du droit à résiliation de l’assurance emprunteur ainsi qu’un renforcement des sanctions appliquées aux établissements de crédit qui ne respecteraient pas ce droit.
1. Vers une précision de la notion de date d’anniversaire du contrat et des modalités de procédure de résiliation
Dans l’exposé des motifs justifiant la proposition de loi, le législateur fait état d’un flou juridique dans lequel plusieurs établissements de crédit se seraient engouffrés afin de fragiliser le droit de résiliation. Ce flou concerne la date d’anniversaire du contrat qui n’a pas été définie dans les dernières modifications législatives de 2017.
La date d’anniversaire du contrat peut correspondre en fonction de l’établissement de crédit, à la date de signature de l’offre, à celle du déblocage des fonds ou encore à celle de la première mensualité. Un vrai casse-tête pour l’emprunteur qui d’ailleurs ne reçoit pas toujours de réponse de sa banque lorsqu’il demande la bonne date d’anniversaire à prendre en compte. Ce manque de précision rend parfois les procédures de résiliation irrecevable dans la mesure où le préavis de deux mois n’aurait pas été correctement respecté (les discussions de la commission des affaires économiques font état d’une absence totale de réponse à une demande de résiliation dans 30% des cas, et d’une réorientation de l’emprunteur vers une nouvelle dans 20% des cas[5]).
Le Comité Consultatif du Secteur Financier (CCSF)[6], dans un avis du 27 novembre 2018, avait déjà pris conscience de cette difficulté et avait adopté à l’unanimité une recommandation. Celle-ci visait à uniformiser la date d’anniversaire d’un contrat d’assurance emprunteur groupe auprès de tous les établissements prêteurs en retenant celle de l’offre de prêt ou bien tout autre date figurant sur le contrat d’assurance et que l’emprunteur aurait estimé plus pertinente. Cette recommandation, principale mesure de la proposition de loi, est retenue telle quelle par le législateur.
Au-delà de cette précision importante, le Sénat a souhaité faciliter la procédure administrative de résiliation pour le consommateur. Face à l’inertie de certains banques, l’obligation de transmettre sur demande à l’emprunteur la fiche standardisée d’information (FSI) est renforcée. Cette FSI est primordiale dans le cadre de la procédure de résiliation puisqu’elle permet à l’emprunteur de connaitre les exigences minimales d’assurance imposées par l’établissement de crédit pour la couverture du prêt. Par ailleurs, la compagnie d’assurance du contrat groupe devra rappeler chaque année à l’emprunteur sa possibilité de résilier le contrat et la procédure à respecter pour ce faire.
Enfin, la proposition de loi vise à renforcer l’obligation pour les établissements de crédit de justifier le refus de résiliation du contrat d’assurance-emprunteur. En conséquence, et notamment lorsque le refus est justifié par un manque de documents, les établissements de crédit devraient désormais lister précisément les pièces manquantes afin de faciliter la régularisation de la demande de résiliation.
Ces obligations n’auraient pas de réels effets si elles n’étaient pas accompagnées de sanctions efficaces en cas de manquements. Or, là aussi, le Sénat constate « une erreur matérielle[7] » dans le dispositif des sanctions qu’il est nécessaire de modifier.
2. Vers des sanctions administratives pour renforcer l’effet des sanctions en cas de manquements des établissements de crédit
Lors de l’examen du rapport sur la proposition de loi, Mme Elisabeth Lamure, rapporteure, fait état d’une erreur matérielle dans le dispositif de sanction applicable en cas de manquement notamment de l’obligation d’information par les établissements de banque-assurance. En effet, ces sanctions seraient à la fois soumises « au régime des contraventions et celui des sanctions pénales »[8], ce qui nuirait à leur application par les instances judiciaires.
En conséquence, et après audition de la l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le texte prévoit de dépénaliser ces sanctions et d’en faire des sanctions administratives. Ces sanctions pourraient dès lors être appliquées par l’ACPR ou la DGCCRF directement, ce qui assure une plus forte rapidité d’action des instances. Par ailleurs le niveau des sanctions financières passerait de 3.000€ à 15.000€ pour une personne morale.
Enfin, le dispositif de sanction, en devenant administratif, permettra aux autorités administratives de faire publier les manquements des établissements contrevenants selon un principe de « Name and Shame », bien souvent plus dissuasif qu’une sanction pécuniaire.
Cette proposition de loi doit encore être adoptée par l’Assemblée nationale, mais le consensus qui se dégage autour de ce texte d’abord auprès du CCSF puis du Sénat permet d’envisager une adoption du texte presque sans réelle modification. Si le texte est adopté il s’appliquera dans un délai de quatre mois à compter de la publication de la loi, et ce à tous les contrats en cours à cette date.
[1] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.
[2] Exposé des motifs de la proposition de la loi tendant à renforcer l’effectivité du droit au changement d’assurance emprunteur : https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppl18-427-expose.html
[3] Idem
[4] Idem
[5] Comptes rendus de la commission des affaires économiques. Examen du rapport et du texte de la commission relatifs à la proposition de loi tendant à renforcer l’effectivité du droit au changement d’assurance emprunteur : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191014/eco.html#toc2
[6] Ce comité, rattaché à la Banque de France, rassemble des membres du Parlement, des membres professionnels du secteur financier et des représentants de la sociétés civiles (personnel, clients, experts), est chargé d’étudier les questions relatives aux relations entre les professionnels du secteur financiers et leurs clientèles : https://www.ccsfin.fr/
[7] Comptes rendus de la commission des affaires économiques. Examen du rapport et du texte de la commission relatifs à la proposition de loi tendant à renforcer l’effectivité du droit au changement d’assurance emprunteur : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191014/eco.html#toc2
[8] Idem.
Un contexte de taux bas du crédit immobilier propice à la réalisation d'économies
Depuis quelques mois les taux d’emprunt d’Etat français (OAT 10 ans) devaient remonter comme le prévoyait notamment un rapport législatif du Projet de Loi de Finances 2019[1] principalement du fait de l'impact de la fin programmée du programme de rachat d'actifs de la banque centrale européenne (BCE) lancée en 2015 puis accélérée en 2016. Finalement ces derniers ont connu une forte baisse sur le mois de mars entrainant une baisse des taux d’emprunts immobiliers en battant le record des taux historiques d’octobre 2016 !
Certaines banques ont réduit leur taux de plus de 30 centimes et il n’est pas rare d’obtenir des taux de 1.20% sur 25 ans, 1.06% sur 20 ans et 0.85% sur 15 ans !
Les meilleurs profils de clients ont même la possibilité de négocier des offres encore plus intéressantes avec des taux à moins de 1% sur 20 ans.
Par ailleurs, la renégociation de l’assurance emprunteur facilitée par l’amendement Bourquin, autrement appelée loi Bourquin[2] applicable depuis le 1er janvier 2018 est également un levier d’économies important et souvent sous-évalué du fait de son coût indirect.
Quels sont les changements apportés par la loi Bourquin sur l’assurance emprunteur
Les précédentes lois sur l'assurance emprunteur[3] permettaient de changer d’assurance emprunteur au cours des douze premiers mois qui suivaient la signature du crédit.
Si la souscription à un emprunt immobilier date de plus d’un an, la loi Bourquin vous permet de changer à chaque date d’anniversaire votre assurance emprunteur si un délai de préavis de deux mois est respecté.
A chaque date d’anniversaire, il est possible de résilier son ancien contrat d’assurance emprunteur pour en souscrire un nouveau auprès d’un autre assureur et cela pendant toute la durée de remboursement du crédit. Bien évidemment, le nouveau contrat doit avoir des garanties équivalentes au contrat d’assurance emprunteur initial.
La loi Bourquin, ou loi Sapin 2, s’adresse aux particuliers ayant souscrit à une assurance emprunteur, ainsi plus de 10 millions[4] de français sont concernés.
Cette loi permet au marché de l’assurance emprunteur une mise concurrence entre les banques et les assurances externes. Les emprunteurs ont jusqu’ici, pour la grande majorité d’entre eux, souscrit à une assurance groupe de la banque, au lieu de faire appel à des assurances emprunteurs externes qui sont pour la plupart moins chère. A la différence des assurances groupes, leur tarification est calculée selon le profil du client, « sur mesure », en prenant en compte des caractéristiques telles que leur âge, s’ils sont fumeurs ou non, ou encore les distances kilométriques annuelles parcourues. Ces assurances sont pour la plupart fonction du capital restant dû et non du capital emprunté.
Cette loi permet donc surtout aux Français de faire des économies sur leur assurance emprunteur en jouant sur la concurrence.
Le changement d’assurance de prêt à la date anniversaire de votre contrat est désormais inscrit dans l’article L. 113-12-2 du Code des Assurances.
Comment s’opère le changement d’assurance emprunteur en fonction de la date de signature du prêt ?
Lors de la signature de votre crédit immobilier, la banque vous demande automatiquement de souscrire à une assurance emprunteur.
Deux possibilités de souscription à l’assurance emprunteur s’offrent alors à vous :
- Vous souscrivez au contrat d’assurance emprunteur proposé par votre banque:
la date d’anniversaire de résiliation est celle de la signature de votre offre de prêt ;
- Vous choisissez une assurance emprunteur externe à la signature de votre prêt :
la date anniversaire est la date prévue dans les conditions générales de votre contrat d’assurance ;
Dans les deux cas, le préavis est de 2 mois.
En pratique : quelles sont les économies potentielles ?
- Emprunteur ayant souscrit le 1er septembre 2017 un crédit immobilier de 650 000€ au taux de 2% sur 20 ans pour financer sa résidence principale.
Au 1er avril (blague à part) le capital restant dû est de 609 744€ et l’emprunteur souhaite renégocier son taux d’emprunt et son assurance emprunteur :
Crédit immobilier souscrit en septembre 2017 |
Crédit immobilier renégocié en avril 2019 |
Économie | |
Durée | 20 ans | 17 ans | |
Montant | 650 000 € | 609 744 € | |
Taux | 2% | 1% | 1% |
Mensualités hors assurance | 3 288 € | 3 251 € | 37 € |
Coût du crédit hors assurance | 139 178 € | 53 549 € | 85 629 € |
Taux de l'assurance | 0,3% | 0,15% | 0,14% |
Mensualités de l'assurance | 163 € | 76 € | 86 € |
Coût de l'assurance | 39 000 € | 15 548 € | 23 452 € |
Coût total de l'emprunt (intérêts+ assurance) | 178 178 € | 69 097 € | 109 081 € |
La renégociation de son emprunt lui permettra d’alléger ses mensualités de 123€ et d’économiser 109 080€, dont 23 452€ au titre de l’assurance emprunteur sur ses 221 mensualités restantes !
- Emprunteur ayant souscrit le 1er septembre 2017 un crédit immobilier de 250 000€ au taux de 2% sur 20 ans pour financer un investissement locatif.
Crédit immobilier souscrit en septembre 2017 |
Crédit immobilier renégocié en avril 2019 |
Economie | |
Durée | 20 ans | 17 ans | |
Montant | 250 000 € | 234 517 € | |
Taux | 2% | 1% | 1% |
Mensualités hors assurance | 1 265 € | 1 251 € | 14 € |
Coût du crédit hors assurance | 53 530 € | 20 596 € | 32 934 € |
Taux de l'assurance | 0,3% | 0,15% | 0,14% |
Mensualités de l'assurance | 63 € | 29 € | 33 € |
Coût de l'assurance | 15 000 € | 5 980 € | 9 020 € |
Coût total de l'emprunt (intérêts+ assurance) | 68 530 € | 26 576 € | 41 954 € |
Même avec un montant d’emprunt presque trois fois inférieur, la renégociation lui permettra d’alléger ses mensualités de 47€ et d’économiser 41 954€, dont 9 020€ au titre de l’assurance emprunteur sur ses 221 mensualités restantes !
A noter que la renégociation du taux sera d’autant plus intéressante qu’elle sera réalisée dans le 1er tiers de la période de remboursement du prêt.
Il convient toutefois de rappeler que les banques peuvent avoir des politiques commerciales différentes et cette information reste le plus souvent cachée.
Il est donc important de se faire accompagner car comparer toutes les offres peut vite être chronophage.
Certaines banques « moins bien placées » consentent des décotes incroyables notamment lorsqu’il s’agit de profils qu’elles souhaitent conquérir.
[1] Projet de loi de finances 2019: http://www.senat.fr/rap/l18-147-313/l18-147-3135.html
[2] Loi dite SAPIN 2 n° 2017-203 du 21 février 2017
[3] Loi dite Hamon loi n° 2014-344 du 17 mars 2014
[4] Fédération Française de l’Assurance
IFI et démembrement de propriété : attention aux nouveaux impacts fiscaux !
Le démembrement de propriété est une technique très utilisée dans le cadre des stratégies patrimoniales (voir aussi, à ce sujet, notre article présentant les atouts du quasi-usufruit), afin de préparer la transmission de son patrimoine dans un cadre fiscal optimisé, tant au regard des droits de donation et de succession que de l’impôt sur la fortune.
Avec le passage de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) (cf notre article « Ce qui change avec le passage de l’ISF à l’IFI »), un changement important est à signaler s’agissant de l’imposition des biens immobiliers détenus en démembrement de propriété : une différence de traitement existe désormais entre le démembrement qui résulte de l’application de la loi (usufruit légal du conjoint survivant lié au décès d’un époux), et le démembrement conventionnel issu d’une donation entre époux ou d’un testament.
Intégrer cette nouvelle règle est primordiale afin de déterminer qui, de l’usufruitier ou du nu-propriétaire, doit déclarer et payer l’impôt !
Rappel du principe du démembrement de propriété
Le droit de propriété confère à celui qui en est titulaire les trois prérogatives qu’il est possible d’avoir sur un bien :
- l’usus : le droit de détenir et d’utiliser le bien,
- le fructus : le droit de percevoir les fruits (les revenus) du bien,
- l’abusus : le droit de disposer du bien, c’est-à-dire de le vendre ou de le donner.
Le droit de propriété peut faire l’objet d’un démembrement[1], qui donne lieu à une répartition de ces trois prérogatives entre l’usufruit et la nue-propriété :
- L’usufruit est le droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les fruits (notamment les loyers issus de la location du bien immobilier), sans avoir le droit d’en disposer.
- La nue-propriété est le droit de disposer du bien mais sans pouvoir l’utiliser et sans en percevoir les revenus.
A l’extinction de l’usufruit (qui intervient par le décès de l'usufruitier dans le cas d’un usufruit viager, ou par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé dans le cas d’un usufruit temporaire)[2], il y a réunion de l'usufruit à la nue-propriété, de sorte que le nu-propriétaire devient automatiquement plein propriétaire du bien, et ce sans impôt ou taxe supplémentaire[3].
Au regard de l’impôt sur la fortune, l’intérêt du démembrement de propriété tient au fait que, par principe, les biens grevés d’un usufruit sont compris dans le patrimoine de l’usufruitier pour leur valeur en pleine propriété[4]. Corrélativement, le nu-propriétaire n’a pas à déclarer la valeur de la nue-propriété du bien au titre de l’IFI et n’est donc pas imposé.
Toutefois, un changement important intervient cette année s’agissant de l’imposition à l’IFI des biens immobiliers détenus en démembrement de propriété, lorsque ce démembrement résulte de l’application de l’usufruit légal du conjoint survivant en cas de décès d’un époux.
Démembrement successoral : imposition séparée entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata de leurs droits
La loi (article 757 du code civil) prévoit que si un époux décède en laissant des enfants tous issus des deux époux, le conjoint survivant recueille, à son choix, soit l'usufruit de la totalité des biens de la succession soit un quart des biens en pleine propriété. Cette option pour l’usufruit de la succession est ce que l’on appelle l’usufruit légal du conjoint survivant, et s’applique à tous les décès postérieurs au 1er juillet 2002, si aucune donation entre époux n’a été consentie.
Jusqu’à 2018, le principe de l’imposition exclusive de l’usufruitier s’appliquait, de sorte que le conjoint survivant, usufruitier en vertu de la loi, devait déclarer les biens ainsi reçus en usufruit dans son patrimoine taxable à l’IFI pour leur valeur en pleine propriété. Les enfants qui recevaient la nue-propriété des mêmes biens n’étaient donc quant à eux pas imposés à l’IFI.
Cette règle est modifiée avec l’entrée en vigueur de l’IFI depuis le 1er janvier 2018 : désormais, dans le cas d’un démembrement résultant de l’usufruit légal du conjoint survivant, les biens grevés de l’usufruit sont compris, respectivement, dans les patrimoines de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées par l'article 669 du Code Général des impôts[5]. Autrement dit, l’imposition à l’IFI sera répartie entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata de leurs droits respectifs, évalués conformément au barème fiscal suivant[6] :
Barème de l’article 669-I du CGI | ||
AGE de l'usufruitier |
VALEUR de l'usufruit |
VALEUR de la nue-propriété |
Moins de : | ||
21 ans révolus | 90 % | 10 % |
31 ans révolus | 80 % | 20 % |
41 ans révolus | 70 % | 30 % |
51 ans révolus | 60 % | 40 % |
61 ans révolus | 50 % | 50 % |
71 ans révolus | 40 % | 60 % |
81 ans révolus | 30 % | 70 % |
91 ans révolus | 20 % | 80 % |
Plus de 91 ans révolus | 10 % | 90 % |
La différence avec le régime antérieur tient à ce que cette nouvelle règle d’imposition à l’IFI s’applique à tous les usufruits légaux du conjoint survivant, quelle que soit la date du décès, y compris aux démembrements successoraux en cours. Jusqu’à 2018, cette règle exceptionnelle de l’imposition répartie entre le nu-propriétaire et l’usufruitier ne s’appliquait qu’aux anciens usufruits légaux correspondant aux décès antérieurs au 1er juillet 2002.
Démembrement conventionnel : imposition exclusive de l’usufruitier
Afin de prévoir une meilleure protection du conjoint survivant, les époux peuvent consentir une donation entre époux, en vertu de l’article 1094-1 du Code civil. Dans ce cas, le conjoint survivant recueille, à son choix : soit l’usufruit de la succession, soit la quotité disponible en pleine propriété (qui dépend du nombre d’enfants présents), soit un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit. En conséquence, les droits des enfants dépendront de l’option choisie par le conjoint survivant.
Dans ces hypothèses de démembrements conventionnels, c’est-à-dire lorsque l’usufruit résulte d’une donation, notamment d’une donation entre époux, ou d’un legs dans le cadre d’un testament, le principe de l’imposition exclusive de l’usufruitier s’applique : l’époux usufruitier est donc le seul à déclarer le bien dans son actif taxable à l'IFI, pour sa valeur en pleine propriété. Corrélativement, les enfants nus-propriétaires sont exonérés de l’IFI au titre de ces biens.
La nécessité d’un conseil des héritiers sur les conséquences fiscales du choix entre l’usufruit légal et conventionnel
En raison de cette différence de traitement entre l’usufruit légal ou conventionnel, le choix du conjoint survivant sur les droits qu’il percevra dans la succession de son époux, et corrélativement sur les droits perçus par les enfants, a donc désormais une influence quant à l’imposition à l’IFI.
A l’avenir, les personnes désireuses d’anticiper la transmission de leur patrimoine dans un cadre fiscal optimisé devront se rapprocher de leur conseil afin de mesurer les impacts de l’IFI. Pour sélectionner la solution optimale, il conviendra de prendre en compte non seulement la valeur du patrimoine imposable à l’IFI du couple, mais également celui des enfants. En effet, dans les cas où les enfants futurs nus-propriétaires sont peu (tranches d’imposition basses du barème de l’IFI) ou ne sont pas redevables de l’IFI (car ayant un patrimoine immobilier imposable inférieur à 1,3 million d’euros), le choix pour l’usufruit légal (auquel est associé le partage d’imposition entre usufruitier et nu-propriétaire) apparait plus avantageux sur le plan fiscal.
L’anticipation de ces incidences fiscales permettra de minimiser le coût de l’IFI acquitté globalement par le conjoint usufruitier et les enfants nus-propriétaires, voire dans certains cas à faire sortir le conjoint survivant du giron de l’IFI.
Cependant, ces considérations fiscales ne doivent pas faire perdre de vue l’intérêt civil de l’usufruit conventionnel. Par exemple, si elle peut s’avérer moins judicieuse que la dévolution légale au regard de l’imposition à l’IFI, une donation au dernier vivant permet sur le plan civil une protection du conjoint plus importante (en lui donnant le choix de percevoir davantage que dans le cadre de la dévolution légale), et sur-mesure, grâce à la faculté de cantonnement permettant au conjoint survivant de limiter la part qui lui est transmise sans que cet arbitrage soit considéré comme une libéralité faite en faveur des autres successibles. [7]
[1] Le démembrement de propriété est prévu par les articles 578 et suivants du code civil.
[2] Article 617 du code civil
[3] Article 1133 du code général des impôts.
[4] En vertu de l’ancien article 885 du Code général des impôts (CGI) pour l’ancien ISF, et en vertu de l’article 968 du CGI pour l’IFI.
[5] Article 968 du code général des impôts, créé par la Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, article 31.
[6] La valeur fiscale de l’usufruit est établie sur la base d’un barème légal et représente une quotité de la valeur en pleine propriété du bien transmis.
[7] Article 1094-1 du code civil.
Ce qui change avec le passage de l’ISF à l’IFI
Rien que l’immobilier…mais tout l’immobilier ! Depuis le 1er janvier 2018, l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI)[1] remplace l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et taxe tous les contribuables dont le patrimoine immobilier a, au 1er janvier de l’année d’imposition, une valeur nette supérieure à 1,3 million d’euros.
Si l’ISF concernait 351.152 Français en 2016, permettant une collecte de 5,051 milliards d'euros pour l'État[2], l’IFI devrait quant à lui s’appliquer en 2018 à environ 150.000 foyers fiscaux français, ce qui devrait permettre à l’Etat de lever 850 millions d’euros de recettes fiscales.
Certaines règles restent identiques au dispositif antérieur : seuil d’assujettissement (valeur nette du patrimoine d’au moins 1,3 million d’euros), annualité de l’impôt avec appréciation de la valeur du patrimoine au 1er janvier de chaque année, barème progressif d’imposition (première tranche de 0 à 800.000€ de patrimoine non taxée puis cinq tranches d’imposition allant de 0,50% à 1,50%), mécanisme de la décote bénéficiant aux contribuables dont la valeur du patrimoine est comprise entre 1,3 et 1,4 million d’euros afin d‘éviter un effet de seuil, abattement de 30% sur la résidence principale, exonération des biens immobiliers affectés à l’exercice de l’activité professionnelle du redevable, exonération des bois et forêts et des baux ruraux à long terme, régime des impatriés, ainsi que la règle du plafonnement (visant à éviter que la somme de l'IFI, de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux d’une année ne dépasse 75% des revenus de l’année précédente ; en cas d’excédent, celui-ci vient en diminution de l’IFI à payer).
Scala Patrimoine vous propose un récapitulatif des changements intervenant avec le passage de l’ISF à l’IFI.
L’assiette taxable limitée aux biens et droits immobiliers
Pour rappel, rentraient dans l’assiette imposable à l’ISF tous les biens, droits et valeurs : les immeubles, titres de sociétés, fonds de commerce ou clientèle, actifs financiers, créances, véhicules de toute nature (voitures, bateaux, avions, etc.), chevaux de course, meubles meublant, l’or, les bijoux et métaux précieux, etc.
Au contraire, le nouvel IFI taxe uniquement les biens et droits immobiliers, à l’exclusion de tous les autres biens. Ainsi, votre patrimoine financier, notamment tous vos contrats d’assurance-vie, contrats de capitalisation, comptes-titres, PEA, comptes sur livret et autres liquidités sont désormais entièrement exonérés d’impôt sur la fortune (sous réserve de ce qui suit).
En revanche, tous les actifs immobiliers sont concernés, qu’ils soient détenus en direct ou indirectement via une société (et ce quel que soit le nombre de sociétés interposées entre le contribuable et le bien immobilier), ou encore au travers de contrats d’assurance-vie ou de capitalisation.
Ainsi, les titres de sociétés détenant de l’immobilier sont imposables à hauteur de la fraction de la valeur représentative des immeubles détenus (directement ou indirectement) par la société.
Sont également inclus dans le périmètre de l’IFI les actifs financiers ayant pour sous-jacent l’immobilier tels que les OPCI (Organisme de placement collectif immobilier), SCPI (Sociétés civiles de placement immobilier) et SCI (Sociétés Civiles Immobilières), quelle que soit l’enveloppe dans laquelle ils sont logés (contrat d’assurance-vie ou de capitalisation, PEA (Plan d’Epargne en Actions), compte-titres, PEE (Plan d’épargne entreprise), etc.). Dans ces cas, l’assiette imposable à l’IFI sera la valeur représentative de la fraction investie en OPCI, SCPI, SCI.
La loi réserve toutefois des exceptions en excluant certains biens de l’assiette taxable à l’IFI :
- les actifs immobiliers détenus par une société dont le redevable possède des titres lorsqu’ils sont affectés à l’exercice d’une activité économique.
- les parts ou actions de sociétés industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou libérales, dont le redevable détient moins de 10% du capital.
- les biens et droits immobiliers détenus par l’intermédiaire d’Organismes de Placement Collectif (OPC) ou de fonds d’investissement lorsque le contribuable détient moins de 10% du capital et que les actifs immobiliers représentent moins de 20% de l’actif total du fonds.
- Les biens affectés à une activité de location meublée professionnelle (LMP),
- les actions de foncières cotées, à condition que l’assujetti détienne moins de 5% de son capital.
Encadrement de la déductibilité des dettes
Par principe, sont déductibles de l’actif imposable les dettes existantes au 1er janvier de l’année d’imposition, contractées par le redevable, et effectivement supportées par lui, à concurrence de la fraction de la valeur imposable de l’actif auquel elles se rapportent.
Avec l’entrée en vigueur de l’IFI est instaurée une liste limitative des dettes déductibles[3], laquelle exclue de plein droit les dépenses liées aux biens autres qu’immobiliers (prêts automobiles, découverts bancaires, dettes de quasi-usufruit, droits de successions non encore acquittés au 1er janvier de l’année sauf s’ils se rapportent à des actifs immobiliers imposables), certaines impositions tels que l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, y compris l’impôt correspondant aux revenus des immeubles mis en location (revenus fonciers, BIC des locations meublées), ainsi que la taxe d’habitation. C’est ainsi que seules les dettes relatives aux dépenses d’acquisition, de réparation, d’entretien, et d’amélioration des biens immobiliers ainsi que la taxe foncière seront déductibles.
De plus, sont introduites des clauses anti-abus excluant ou restreignant la déduction de certaines dettes.
Ainsi, ne sont pas déductibles les dettes à caractère familial[4], ainsi que les dettes souscrites auprès de sociétés dont le redevable a le contrôle[5].
Un traitement particulier est désormais réservé aux crédits in fine[6] contractés pour l'achat d'un bien ou droit immobilier, puisque ceux-ci ne sont déductibles que partiellement, chaque année, à hauteur du montant total de l'emprunt diminué d'une somme égale à ce même montant multiplié par le nombre d'année écoulées depuis la souscription de l’emprunt et divisé par le nombre d'années total du prêt. Autrement dit, les prêts in fine sont traités fictivement comme s’ils s’amortissaient.
Par exemple, pour un crédit in fine d'un montant de 300 000 € d'une durée de 10 ans, souscrit le 1er janvier 2015 et à rembourser le 1er janvier 2025, la dette qui pourra être retenue au titre du passif déductible de l’IFI 2018 est de : 300 000 – (300 000 x 3/10) = 210 000€ (alors même que la dette réelle restant due par le contribuable est de 300 000€).
Quant aux crédits in fine ne prévoyant aucun terme pour le remboursement du capital, un mécanisme d’amortissement forfaitaire d’1/20ème par année écoulée est prévue par la loi.
Par ailleurs, pour les patrimoines immobiliers dont la valeur est supérieure à 5 millions d’euros, un mécanisme de plafonnement du passif déductible est instauré : si le montant total des dettes est supérieur à 60 % de la valeur des actifs immobiliers, la fraction des dettes excédant ce seuil ne sera admise en déduction qu'à hauteur de 50 %. Toutefois, ce plafond de déduction ne sera pas applicable si le contribuable justifie que les dettes n’ont pas été contractées dans un but principalement fiscal.
Transposition partielle des dispositifs de réduction d’impôt
Si la réduction d’impôt de 75% pour les dons à des associations caritatives ou des fondations est maintenue, tel n’est pas le cas de la réduction ISF-PME, qui permettait de bénéficier d’une réduction d’impôt de 50% en cas d’investissement au capital des PME.
Déclaration de l’IR et de l’IFI aux mêmes dates limites
Il n’y a plus de distinction entre les redevables ayant un patrimoine inférieur à 2,57 millions d’euros et ceux dépassant ce seuil : tous les redevables de l’IFI doivent désormais déclarer leur patrimoine avec leur déclaration annuelle d’impôt sur le revenu, en respectant la même date limite. Ainsi, la déclaration de l'IFI 2018 s'effectue en même temps que la déclaration de revenus en ligne ou papier dans une nouvelle déclaration annexe n°2042-IFI.
Vous recevrez votre avis d’imposition à l’IFI durant le mois d’août et vous aurez jusqu'au 22 septembre 2018 minuit pour payer en ligne votre IFI (jusqu’au 17 septembre si vous n'utilisez pas un moyen de paiement dématérialisé). Le prélèvement sera effectué à compter du 27 septembre 2018.
Les conséquences de cette réforme de l’impôt sur la fortune ne seront pas les mêmes selon le montant et la composition de votre patrimoine. De plus, l’immobilier étant désormais l’actif le plus taxé en France (cf notre article « Les rendements de l’immobilier locatif érodés par les cumuls de hausse de la taxe foncière »), la question se pose de savoir s’il est judicieux de vendre vos biens immobiliers (cf notre article « Réforme de l’ISF : quels arbitrages réaliser sur votre patrimoine ? »).
[1] Article 31 de la Loi de finances pour 2018.
[2] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgfip/Rapport/2016/RA2016_cahierstats_0607_web.pdf
[3] Article 974, I du CGI.
[4] Il s’agit des dettes contractées directement ou indirectement par l'intermédiaire d'une société auprès d’un membre de son foyer fiscal (couple marié, pacsé ou en concubinage notoire, et leurs enfants mineurs) ou auprès d’un membre du groupe familial (ascendants, descendants majeurs, frères et sœurs).
[5] Sauf si le redevable justifie du caractère normal des conditions du prêt.
[6] Article 974, II du Code Général des Impôts.